Ce document est une catastrophe d’un point de vue pro-français. Il est évident d’un bout à l’autre que le but poursuivi est un Etat associé, indépendant mais en partenariat avec la France. M. Valls se fait le fidèle porte-voix de MM. Christnacht, Merle, etc. : autrement dit, de tous ceux qui nous ont menés au désastre.
Ce qui me fait dire ça :
- La mention répétée du lien « avec » la France. Evidemment, on pourrait aussi parler du lien qu’a l’Auvergne « avec » la France, mais dans ce contexte il est clair qu’« avec » implique une Nouvelle-Calédonie devenue extérieure à la France.
- Il est vrai qu’on parle d’un statut « dans la Constitution ». Mais c’est parfaitement illusoire : la Communauté française, en 1958, était elle aussi dans la Constitution, mais elle est rapidement devenue caduque faute de combattants, bien avant qu’elle n’en soit retirée. Si la Nouvelle-Calédonie peut librement changer son propre statut (v. point 6), alors le fait que celui-ci soit « dans la Constitution » ne protège absolument en rien l’appartenance du territoire à la France… (exemple des îles Cook, dont la Constitution est une loi du parlement néo-zélandais, mais cette loi permet aux Cook de décider par elles-mêmes de couper les ponts). De manière particulièrement insidieuse, le document peut ainsi faire semblant de respecter le résultat des référendums tout en préparant son renversement à moyen terme !
- La mention de la « compétence de la compétence » qu’aurait la NC post-nouvel accord est un indicateur aussi clair que possible de ce désir d’indépendance. Le terme (un calque de l’allemand Kompetenz-Kompetenz, dont on a beaucoup discuté à propos de l’Union européenne) signifie le fait pour une entité de pouvoir décider elle-même de ce dont elle s’occupe (et de ce qu’elle délègue à d’autres, comme l’UE).
Cela est compris par la doctrine juridique comme synonyme de souveraineté ou d’indépendance : ainsi, la France et l’Allemagne demeurent indépendantes/souveraines malgré l’UE parce qu’elles peuvent récupérer à tout moment les compétences déléguées. A l’inverse, l’UE n’est pas souveraine car elle ne décide pas par elle-même de ce qu’elle fait (et ce, alors même que son droit s’impose à celui des Etats membres tant qu’ils sont membres).
- Le terme « loi fondamentale » est, là encore, un indicateur gros comme un camion. Loi fondamentale et constitution sont généralement considérées comme synonymes. Les « lois fondamentales » du Royaume de France, avant la Révolution, jouaient un rôle similaire aux constitutions post-révolutionnaires. On parle donc bien ici d’une Constitution de la Nouvelle-Calédonie.
Il est vrai que cette constitution serait donnée par le parlement français et, en théorie, serait révocable par lui. Mais la réalité politique est tout autre. La Constitution du Canada et celle de l’Australie sont, à l’origine, des lois du parlement britannique (British North America Act 1867, Commonwealth of Australia Constitution Act 1900). Or, personne ne doute que le Canada et l’Australie sont devenus depuis des Etats indépendants (alors même que le Royaume-Uni ne leur a jamais explicitement conféré leur indépendance, ils l’ont simplement… prise).
- Nombreuses allusions à un transfert à la NC de certaines compétences « régaliennes », en tout ou partie. Or, on considère généralement que celles-ci constituent le noyau irréductible de la souveraineté effective des Etats. Toute incursion de la NC dans l’exercice de ces prérogatives rend donc problématique l’idée même de souveraineté française sur l’archipel (p.ex. si la NC pouvait signer des accords internationaux avec la Chine, comme récemment les îles Cook, même contre l’avis de Paris).
- Par ailleurs, le document ressort le vieux serpent de mer du « droit inaliénable à l’autodétermination ». Ce supposé droit est intellectuellement de la bouillie de chat. Le document, qui se garde bien de le définir, confond tout : droit international classique (qui parle d’un « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » – sans force normative –, mais il n’y a pas de « peuple calédonien » reconnu juridiquement) ; droit des peuples autochtones (qui ne concernerait donc que les Kanaks) ; et droit interne français.
Or, en droit français, ce que le Conseil constitutionnel a appelé un temps le « droit à la libre détermination des peuples d’outre-mer » (à l’époque où ceux-ci étaient mentionnés dans la Constitution, ce qui n’est plus le cas), c’est un droit à être consultés sur leur avenir *si* on le leur demande, et un droit à ne pas être forcés de devenir indépendants contre leur gré. JAMAIS le Conseil constitutionnel n’a reconnu un droit unilatéral à la sécession de quelque territoire ou population que ce soit. Or c’est bien de cela dont il est question dans le document.
Les référendums de 2018, 2020 et 2021 étaient l’exercice non pas d’un droit mais d’un privilège, accordé suite à l’accord de Nouméa. Il n’y aucune raison, ni juridiquement, ni politiquement, de renouveler l’exercice. Inscrire à la suite d’un nouvel accord, directement ou indirectement, un droit à la sécession dans la Constitution serait une révolution juridique qui reviendrait de facto à rendre la Nouvelle-Calédonie indépendante – puisque celui qui peut décider par lui-même de devenir indépendant quand il le souhaite est déjà souverain.
(Pour ceux que cela intéresse, j’ai un papier qui sort sur la question dans la Revue juridique, politique et économique de Nouvelle-Calédonie en mai.)
Quelques remarques supplémentaires :
- Sur le droit de vote, rien n’est dit sur le fait que la Convention européenne des droits de l’homme contraint la France. Seules des restrictions très limitées peuvent être tolérées de manière permanente. Et l’usine à gaz qu’on nous ressort à propos de la citoyenneté calédonienne (des « points citoyens » !) va achever de décrédibiliser l’idée : traiter une citoyenneté comme un permis de conduire, c’est la réduire à un pur certificat administratif. Ceux qui, comme moi, pensent qu’elle ne signifie rien ne s’en plaindront certes pas, mais ceux qui croient qu’il existe réellement un peuple calédonien devraient quand même prendre leur idée un peu plus au sérieux que ça !
- On ne peut que déplorer le fait que l’accord de Nouméa semble considéré comme un acquis irréversible en termes d’autonomisation de la NC, alors que là encore rien ne le justifie, ni politiquement, ni juridiquement. Cela fait de l’accord une sorte de texte religieux, sacré, et ce alors même qu’il a été un échec du tout au tout.
- Au final, ressort une désespérante impression de déjà-vu. Réconcilier rhétoriquement les contraires en espérant faire plaisir à tout le monde, c’est ce que certains essayent de faire depuis au moins un certain discours place des Cocotiers en janvier 1985, il y a 40 ans. Or, ils nous ont menés là où nous sommes : n’apprendront-ils dont jamais ?