Dans un entretien accordé à RRB, Sonia Lagarde, maire de Nouméa, a évoqué les événements de Mai 2024, laissant des séquelles tant sur le plan matériel que psychologique. Mme Lagarde a exprimé sa détermination à reconstruire sa ville, affirmant qu’elle ne se laisse pas abattre par les difficultés.
« Un événement qui a été un choc pour beaucoup. »
Le 13 mai dernier a été un moment particulièrement difficile pour la population calédonienne, et Sonia Lagarde reconnait que cet événement a été un choc pour beaucoup. Elle a partagé ses réflexions sur les causes profondes de ces violences, soulignant qu’elles ne sont pas survenues de manière inattendue. Selon elle, une tension palpable était déjà présente dans la société, et les émeutes ont été le résultat d’un climat d’insatisfaction croissant.
Elle a également évoqué le rôle de la jeunesse dans ces événements, notant que certains jeunes se sont sentis exclus et ont exprimé leur révolte. Cependant, elle a mis en garde contre une interprétation simpliste de ces émeutes comme étant uniquement le fait d’une jeunesse désenchantée. Pour la maire, il s’agit d’un phénomène plus complexe, résultant d’un long processus de conditionnement des esprits, qui a préparé le terrain pour une insurrection plutôt que de simples émeutes.
Des quartiers tels que Ducos, Rivière-Salée et la Vallée du Tir ont été particulièrement touchés, avec des destructions massives signalées et les forces de l’ordre ont observé une organisation minutieuse, suggérant un plan bien établi derrière ces événements.
« Le bilan des dégâts matériels est alarmant. »
Les estimations avancent un coût total de 6 milliards de francs pacifiques, avec 37 bâtiments municipaux, dont quatre écoles, gravement endommagés ou complètement détruits. Les infrastructures routières ont également subi des dommages significatifs, avec les barrages et les feux en continus. De plus, 57 caméras de vidéosurveillance ont été détruites, laissant la ville vulnérable face à d’éventuels actes de violence futurs.
L’effondrement de l’économie calédonienne se fait sentir tant au niveau des collectivités que des entreprises privées. Les collectivités locales, en particulier la ville de Nouméa, doivent faire face à des défis financiers considérables. Lors d’un récent débat d’orientation budgétaire, il a été souligné que ces événements représentent un anéantissement de quarante ans de progrès et de paix, affectant gravement des entreprises locales, notamment à Ducos.
En ce qui concerne la gestion des pertes, la ville a entrepris des démarches pour récupérer des fonds auprès des assureurs. Un travail acharné a été réalisé par une équipe dédiée, qui a collaboré avec un assureur suisse. Après une évaluation minutieuse des dommages, la ville a réussi à obtenir un remboursement plafonné à 5 milliards de francs pacifiques.
« Les chefs d’entreprise expriment des préoccupations concernant les délais de traitement des demandes d’assurance. »
Depuis le 1er janvier, Nouméa n’est plus couverte par des garanties contre les émeutes ou les guerres civiles. Les assureurs, devenus plus prudents, ont considérablement augmenté leurs tarifs. Par exemple, l’assurance qui coûtait auparavant 90 millions de francs CFP par an pourrait désormais atteindre près de 150 millions, rendant la situation financière encore plus délicate.
Malgré ces défis, la ville a réussi à stabiliser ses finances. Au cours des derniers mois, elle a évité une cessation de paiement, grâce à une gestion rigoureuse et à des emprunts stratégiques. En 2024, la municipalité a contracté un prêt de 2 milliards de francs CFP auprès de l’Agence française de développement (AFD) et a également obtenu une ligne de trésorerie d’un milliard de francs CFP d’une banque locale. De plus, les dotations de l’État ont été renforcées, permettant à la ville de mieux anticiper ses besoins financiers.
La maire a souligné l’importance de ces mesures pour assurer la continuité des services publics et le paiement des agents municipaux. Elle a également mentionné une baisse de 25 % des coûts liés à la fibre optique, ce qui a permis d’alléger un peu le budget.
Le Fonds intercommunal de péréquation économique (FIPE) est au cœur des préoccupations financières des collectivités locales en Nouvelle-Calédonie. En temps normal, le budget de répartition, qui doit être validé par le Congrès, repose sur une assiette de 220 milliards de francs CFP. Ce système permet de redistribuer des fonds aux communes et aux provinces.
« Une situation qui a conduit à l’accumulation de dettes, avec des factures s’élevant à 200 millions de francs CFP en fin d’année. »
Pour la commune de Nouméa, la situation est particulièrement préoccupante. En temps normal, elle reçoit environ 400 millions de francs CFP par mois via le FIPE. Cependant, l’année précédente, cette somme a chuté à 100 millions de francs CFP par mois, entraînant un déficit mensuel de 300 millions de francs CFP. Cette situation a conduit à l’accumulation de dettes, avec des factures s’élevant à 200 millions de francs CFP en fin d’année, que la commune n’a pas pu régler.
Malgré ces difficultés, des efforts ont été faits pour maintenir les paiements aux 1 600 agents de la commune. Sonia Lagarde a même envisagé de remettre les clés de la commune au haut-commissaire, soulignant la gravité de la situation.
En fin d’année, la Nouvelle-Calédonie a reçu 5 milliards de francs CFP de l’État, destinés aux communes. Ce montant comprend non seulement les fonds du FIPE, mais aussi des centimes additionnels, qui sont souvent négligés dans les discussions. Ces centimes proviennent de diverses sources, telles que les droits d’enregistrement et les taxes professionnelles.
« Les centimes additionnels n’ont pas été versés, ce qui a créé un manque à gagner de 5 milliards de francs CFP »
Pour l’année 2024, les centimes additionnels n’ont pas été versés, ce qui a créé un manque à gagner de 5 milliards de francs CFP. Cependant, lorsque l’État a transféré des fonds à la Nouvelle-Calédonie, cela a permis de compenser cette perte. La maire a donc pris la décision de régler toutes les dettes accumulées, y compris les 200 millions de francs CFP dus aux entreprises et le remboursement d’une ligne de trésorerie à la banque.
« Une suppression de 136 postes à la Mairie. »
La maire a précisé que des efforts avaient été entrepris pour diminuer les dépenses de fonctionnement de 2 % chaque année. Actuellement, la masse salariale a été réduite de 11 %, ce qui a entraîné la suppression de 136 postes. Cette diminution résulte principalement de départs à la retraite non remplacés, ainsi que de fins de contrats à durée déterminée (CDD) qui n’ont pas été renouvelés.
Concernant l’impact de ces réductions sur les services offerts aux citoyens, la maire a affirmé que la réorganisation des services municipaux permettrait de maintenir un niveau de service adéquat, même avec un personnel réduit. Elle a évoqué une philosophie de « faire mieux avec moins ».
En ce qui concerne les investissements prévus pour 2025, la maire a indiqué que la ville continuerait à s’engager dans des projets d’infrastructure, tout en tenant compte des besoins de reconstruction et de modernisation. Elle a mentionné que plusieurs travaux avaient déjà été réalisés depuis son mandat et que d’autres étaient en cours de planification.
« 2,1 milliards de francs seront injectés cette année pour réparer les infrastructures endommagées. »
La reconstruction en Nouvelle-Calédonie est actuellement au cœur des préoccupations des autorités locales, qui ont alloué un budget de 5 milliards de francs pour cette initiative. Dans le cadre de ce programme, 2,1 milliards de francs seront injectés cette année pour réparer les infrastructures endommagées. Parmi les priorités figurent la réhabilitation des voiries, estimée à 1 milliard de francs, ainsi que la remise en état du réseau d’éclairage public, où de nombreux lampadaires ont été détruits, nécessitant un investissement de 232 millions de francs.
La sécurité est également une préoccupation majeure, avec des projets de mise en place de systèmes de vidéo protection. En outre, plus de 100 véhicules, appartenant à divers services, ont été incendiés, ce qui nécessite leur remplacement. La reconstruction d’un mur d’escalade et la réhabilitation de la direction des services sanitaires, totalement détruite à Montravel, sont également sur la liste des priorités.
Des études techniques sont indispensables avant de procéder à la reconstruction de certains bâtiments partiellement brûlés. Les experts doivent évaluer l’état des murs endommagés pour déterminer la faisabilité de la reconstruction. À cet effet, environ 25 millions de francs seront consacrés à ces études. Toutefois, il a été précisé que certaines infrastructures, comme les écoles, ne seront pas reconstruites en raison d’une baisse significative des effectifs scolaires.
Les autorités ont réussi à reloger les élèves dans des établissements fermés, notamment le lycée Escoffier et une partie du collège de Rivière Salée, permettant ainsi d’accueillir tous les élèves, même si près de 900 d’entre eux n’ont pas été vus au début de l’année scolaire. Cette situation a conduit à une prise de conscience quant à la nécessité de ne pas investir dans des écoles vides.
Concernant les quartiers nord de la ville, qui ont été particulièrement touchés par les émeutes, des questions se posent sur l’avenir de ces zones. La reconstruction d’équipements publics, tels que des médiathèques, est envisagée, mais les autorités doivent évaluer la pertinence de ces investissements dans un contexte de destruction massive.
Actuellement, la bibliothèque Bernheim, qui est sous la gestion de la Nouvelle-Calédonie, reste opérationnelle. Cependant, elle fait face à des défis de personnel et de financement. Les autorités envisagent une collaboration pour optimiser les ressources disponibles et créer une bibliothèque unique au sein de la ville, afin de mieux servir la population.
Le pôle de services de Rivière-Salée, qui comprenait des infrastructures essentielles telles que la maison de la famille et la maison de quartier, a également été touché par les flammes. Les responsables cherchent à rénover cet espace et à envisager une utilisation polyvalente, tout en soulignant l’importance de ne pas abandonner ces quartiers.
La municipalité prévoit de poursuivre la construction d’un bâtiment pour les archives, la réhabilitation de la polyclinique, ainsi que des travaux d’assainissement dans la rue Jaurès, qui sont actuellement en cours malgré les désagréments pour les commerces locaux.
D’autres projets incluent la poursuite des travaux sur la route du port des Pointes, la finalisation de la troisième phase de ce chantier, et le développement d’une piste cyclable au faubourg Blanchot. La rénovation de la place Bir Hakeim est également à l’ordre du jour, afin de remédier aux problèmes d’infiltration d’eau et de dallage défectueux.
« 600 sans-abris, un chiffre qui pourrait avoir atteint le millier aujourd’hui. »
La présence croissante de sans-abri dans la ville est également alarmante. Une étude menée en 2020 avait révélé environ 600 sans-abris, un chiffre qui pourrait avoir atteint le millier aujourd’hui. Cette situation est exacerbée par des conditions de vie difficiles et une augmentation de la mendicité agressive, qui pose des défis supplémentaires pour les autorités. Les personnes concernées sont souvent confrontées à des problèmes d’addiction, ce qui complique encore la situation.
Des opérations de police ciblant des points de deal de drogue ont été mises en place, mais les forces de l’ordre manquent de ressources pour traiter efficacement le problème des sans-abris.
Dans le cadre des discussions récentes sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, plusieurs acteurs politiques ont exprimé leurs attentes et leurs préoccupations. Manuel Valls, qui devrait revenir à la fin du mois, est au cœur de ces échanges, et les opinions divergent quant à la nécessité d’un accord institutionnel. Un consensus semble se dessiner sur l’importance d’un tel accord, jugé essentiel pour garantir la stabilité économique de la région.
Mme la Maire a souligné que l’absence d’un accord pourrait entraîner des conséquences néfastes, tant sur le plan politique qu’économique. Selon elle, il est impératif de trouver un terrain d’entente, car les discussions ne devraient pas se limiter à des rencontres sporadiques tous les vingt ans. Cependant, elle a également mis en garde contre la complexité et la durée des négociations à venir, notant que les divergences entre les différentes parties sont profondes.
Concernant le document publié à l’issue de la visite du Ministre Valls, les avis sont partagés. Certains estiment qu’il représente une base solide pour les négociations, tandis que d’autres le considèrent comme un simple devoir, intégrant des éléments potentiellement conflictuels. Ce document a été perçu comme une tentative d’initier un dialogue plus profond entre les élus, en abordant des sujets sensibles qui n’ont pas été suffisamment discutés jusqu’à présent.
Sonia a salué l’effort du ministre pour rassembler les différentes parties autour de la table, un acte qui mérite d’être reconnu par la classe politique, quelle que soit son appartenance. Elle a également souligné que le ministre a cherché à pousser les élus à réfléchir sur des questions fondamentales, les incitant à se confronter à des réalités qu’ils ont souvent évitées.
Les discussions à venir s’annoncent donc cruciales pour l’avenir de la Nouvelle-Calédonie. Les acteurs politiques devront naviguer à travers des enjeux complexes et des attentes variées, tout en gardant à l’esprit l’importance d’un accord qui pourrait stabiliser la région. La route vers un consensus semble longue et semée d’obstacles, mais la volonté de dialogue est là, et c’est un premier pas vers une résolution des tensions institutionnelles.