Tribune – Inspiré d’un édito des Échos, ce constat fait froid dans le dos : à mesure que la société s’effondre, la France se gave de spectacles. Football, rugby, JO, Tour de France… Pendant que le pays tangue, les tribunes hurlent. Et si c’était ça, la vraie décadence ?
Du pain, des jeux… et le vide républicain
La France s’enthousiasme. Victoire de Bordeaux en Coupe d’Europe de rugby, tournoi de Roland-Garros, PSG sacré champion d’Europe, Jeux Olympiques digérés. Et pendant ce temps, la nation traverse une crise morale, politique, économique et sociale. Mais chut. Le peuple a son écran. Il faut que ça joue.
L’auteur renvoie la France contemporaine à une image saisissante : celle de Rome en déclin, décrite jadis par le satiriste Juvénal. Panem et circenses. Du pain et des jeux. Pour mieux faire oublier l’effondrement.
Les Français sont devenus des esclaves de plaisirs corrupteurs,
écrivait Juvénal. À lire aujourd’hui, cela ressemble à une alerte sanitaire de démocratie.
“Quand la France se tait, c’est qu’elle se distrait”
Cette critique n’est pas nouvelle. Le général de Gaulle, visionnaire, s’en méfiait déjà :
Il n’y a pas de grandeur sans effort. Le spectacle est le contraire de l’effort.
Aujourd’hui, la France préfère vibrer sur un terrain de foot que sur les bancs de l’Assemblée. L’abstention atteint des sommets. La défiance explose. Mais les audiences télé, elles, explosent aussi. Et tout pouvoir qui chancelle se jette sur le sport comme sur une bouée.
Charles Pasqua, droit dans ses bottes, avait un mot terrible à ce sujet :
Quand l’État est faible, il fait du bruit avec les médailles.
Le sport n’est pas coupable, mais l’aveuglement l’est
Dans le manifeste Blair-Schröder de 1999, qui appelait à un équilibre entre justice sociale et esprit entrepreneurial. Ce texte, souvent éclipsé par le tumulte politique français, mettait en avant une vision ambitieuse d’une société ouverte à la fois à la solidarité et à l’esprit d’initiative. On y trouvait l’idée que « la justice sociale ne peut réussir sans l’encouragement de l’entreprise », un principe que la droite française, de Jacques Chirac à Nicolas Sarkozy, n’a jamais totalement renié.
Inspirés d’Anthony Giddens, Blair-Schroder prônent un État stratège et non prescripteur. Son rôle ? définir le cadre, encourager la concurrence, investir dans la formation et la cohésion sociale .
Ce nouveau modèle place l’individu et l’entreprise au cœur de l’action, avec des responsabilités strictes mais une liberté renforcée.
“La France est une volonté, pas une habitude”
Nicolas Sarkozy, en 2007, disait :
La France ne peut pas être un pays où tout est dû, où rien ne se mérite.
À l’heure où la passion collective se cristallise sur les tribunes, les podiums et les maillots, que reste-t-il de la fierté civique ? Que reste-t-il du mérite, de l’engagement, du projet collectif ?
Il ne s’agit pas de mépriser la joie sportive. Elle est légitime. Mais de rappeler ceci : quand tout ce qui reste pour rêver, c’est un maillot et un écran plat, c’est que le reste a été démoli. Le sport devient un pansement sur une plaie ouverte. Et les gouvernants s’en servent, faute de mieux.
Le stade est plein. Le pays est vide.
Il est peut-être temps d’éteindre l’écran. Et de rallumer le pays.