Pendant trente ans, la Polynésie française a été le laboratoire nucléaire de la République. Entre 1966 et 1996, 193 essais ont été menés dans les atolls de Moruroa et Fangataufa, au nom de la dissuasion nucléaire et de la souveraineté nationale. Trois décennies après le dernier tir, un rapport parlementaire, dévoilé en juin 2025, ravive une blessure profonde : celle d’un peuple exposé, d’une vérité tue et d’une réparation toujours en suspens.
La commission d’enquête de l’Assemblée nationale appelle l’État à reconnaître sa responsabilité, à réparer les injustices subies par les populations locales et à présenter officiellement ses excuses.
Retombées radioactives minimisées, populations exposées
Selon les travaux de la commission, les risques sanitaires ont été largement sous-estimés. Des milliers de Polynésiens auraient été exposés à des doses supérieures à 1 mSv, seuil reconnu comme potentiellement dangereux. Le suivi médical a été jugé insuffisant et tardif, et les archives, longtemps inaccessibles ou incomplètes. Des documents déclassifiés du CEA (Commissariat à l’énergie atomique) et du ministère des Armées montrent que plusieurs essais atmosphériques ont entraîné des retombées radioactives jusqu’aux îles habitées, notamment à Tahiti, à des doses potentiellement dangereuses pour la population.
Une loi d’indemnisation jugée injuste
De nombreuses pathologies radio-induites (cancers de la thyroïde, leucémies, malformations congénitales…) ont été recensées chez les vétérans, les personnels civils et les résidents exposés. Mais le système d’indemnisation, confié au CIVEN (Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires), reste complexe et restrictif : sur plus de 2 000 demandes, seule une minorité a été acceptée.
Des associations locales, comme Moruroa e tatou, dénoncent une injustice sanitaire, avec des zones entières contaminées, sans surveillance médicale systématique ni cartographie complète des risques.
La loi Morin (loi du 5 janvier 2010), censée permettre l’indemnisation des victimes, est critiquée pour ses critères trop restrictifs. Moins de 5 % des demandes ont abouti depuis 2010. Le rapport propose une refonte du système d’indemnisation, plus simple, plus équitable et indépendant du Commissariat à l’énergie atomique.
Un appel à la reconnaissance et à la justice
Alors que le président Emmanuel Macron avait, en 2021, appelé à une « vérité et transparence », peu de mesures concrètes ont suivi. En 2025, les retombées radioactives sont devenues un enjeu politique, sanitaire et moral majeur, posant la question de la dette nucléaire de la France envers la Polynésie.
Parmi les recommandations du rapport : un pardon officiel de la République, l’ouverture totale des archives, le renforcement du suivi sanitaire et le soutien économique aux territoires affectés. La commission réclame aussi une relance des études épidémiologiques et une meilleure transparence envers les générations futures.
Moruroa aujourd’hui : une bombe à retardement sous surveillance
Près de trente ans après la fin des essais nucléaires, les atolls de Moruroa et Fangataufa restent des zones militaires interdites, sous la responsabilité de l’armée française. Officiellement, la situation est « stable », mais le site continue de faire l’objet d’une surveillance géophysique permanente, preuve des risques persistants.
Le site nucléaire de Moruroa reste instable : les essais souterrains ont fragilisé les sols, au point qu’un effondrement du lagon, pouvant provoquer un mini-tsunami, est redouté. Malgré la pollution radioactive persistante (tritium, césium, plutonium), aucune expertise indépendante n’a été autorisée. La nappe phréatique est inutilisable, et les déchets nucléaires enfouis n’ont pas été extraits. Des élus et associations exigent une levée du secret-défense et un accès scientifique aux atolls de Moruroa et Fangataufa.
Les essais les plus controversés
Essai Centaure (17 juillet 1974) : explosion atmosphérique dont les retombées ont atteint Tahiti. L’État a reconnu a posteriori une erreur d’évaluation.
Essai Licorne (3 juillet 1970) : 914 fois plus radioactif que prévu, selon les archives du CEA. Des poussières contaminées auraient atteint Mangareva.
Essais souterrains post-1981 : bien que présentés comme « propres », certains auraient fracturé les couches géologiques du lagon de Moruroa, libérant des radionucléides dans l’océan.
Trente ans après le dernier essai, la Polynésie française reste marquée par une bombe à retardement silencieuse. Le rapport parlementaire de 2025 dévoile une vérité longtemps étouffée : celle d’une population exposée, de territoires contaminés et d’un État encore réticent à reconnaître sa dette nucléaire. Entre mémoire, justice et réparation, le temps presse pour que la République assume enfin l’ampleur de son héritage atomique.