France “Poupoune” Debien, figure du Nord et de l’agriculture calédonienne, est mort à 81 ans. Retour sur un destin enraciné.
Il s’appelait France, mais toute la Brousse l’appelait “Poupoune”. Ce mercredi 25 juin 2025, à 81 ans, France Debien s’est éteint des suites d’une longue maladie. Avec lui disparaît une figure forte de la Nouvelle-Calédonie rurale : un homme d’honneur, profondément enraciné dans sa terre, dans son époque, et dans sa volonté farouche de défendre la Calédonie dans la France.
Éleveur de Témala, militant pour le vivre-ensemble, ancien élu de la province Nord, président du Crédit Agricole, “Poupoune” aura marqué son temps autant par ses combats que par son bon sens broussard. Retour sur un parcours sans artifice.
Une enfance dans la poussière rouge de Témala
Issu d’une famille de colons libres installés dans le Nord depuis la fin du XIXe siècle, France Debien grandit dans les plaines de Témala. Très jeune, il quitte l’école pour rejoindre l’exploitation familiale. L’époque est à l’autonomie : le café, les légumes, les bêtes. On produit tout, on vend peu, on vit avec la terre. C’est ce lien presque sacré au sol qui l’a forgé.
Dans les années 60 et 70, l’arrivée des grandes exploitations minières bouleverse l’équilibre local. La main-d’œuvre déserte les champs pour les salaires de l’usine. L’agriculture recule. Mais lui s’obstine. L’élevage devient sa passion et son métier. Il construit son savoir-faire à l’australienne, le fouet à la main, en parlant au bétail et en lisant les saisons.
Son exploitation devient un point de repère pour les jeunes, un modèle d’endurance dans un monde rural de plus en plus fragilisé.
L’élu qui parlait le langage des broussards
C’est en 1977, en cofondant le Rassemblement pour la Calédonie (RPC) avec Jacques Lafleur, que France Debien fait son entrée en politique. Le parti se pose alors en rempart contre les logiques séparatistes. Lui y voit une tribune pour défendre la Brousse, ce monde oublié par les équilibres institutionnels.
À la province Nord, entre 1999 et 2009, il se spécialise dans les dossiers agricoles. Son action vise à mieux équiper les éleveurs et producteurs, créer des circuits courts, initier une structuration du monde paysan. Il milite pour un rééquilibrage des aides, fustigeant les distorsions entre les provinces.
À travers sa carrière, il s’oppose à une vision technocratique du développement. Pour lui, la Calédonie ne peut survivre sans un socle agricole solide, partagé entre tous, au-delà des clivages ethniques ou géographiques. Il plaide pour une politique agricole territoriale, unique, au service de tous les Calédoniens.
Témoignage – Jean-Paul T., 70 ans, éleveur à Ouégoa : « Poupoune, c’était un vrai »
J’ai pas connu France Debien de près, mais je l’ai croisé plusieurs fois aux foires agricoles de Koumac et à des réunions dans le Nord. On disait toujours « Poupoune arrive », et on savait que ça allait parler vrai. Il dégageait quelque chose, pas besoin qu’il parle fort. Juste à sa façon de regarder les gens, on sentait que c’était un homme qui savait ce qu’il disait.
Jean-Paul, 70 ans, éleveur retraité de Ouégoa, se souvient d’un homme « franc, carré, et surtout constant dans ses idées ».
Lui, il n’a jamais retourné sa veste. Quand il parlait d’agriculture, c’était pas pour la photo. Il en venait, il y était, il savait de quoi il causait.
À l’époque, on était beaucoup à galérer avec la vente. Lui, il répétait qu’il fallait des lieux de transformation, pas juste des aides qu’on touche une fois. Il avait raison. Trente ans après, c’est encore pareil.
Jean-Paul reconnaît en Poupoune une figure rassurante, un repère.
On n’était pas toujours d’accord sur tout, mais quand je l’entendais, j’écoutais. Il avait cette façon de dire les choses sans langue de bois, mais sans chercher à humilier personne.
Et puis c’était un vrai Broussard. Pas un qui se déguise en chemise à carreaux pour une interview. Non, lui il était né dedans, et il y est resté.
Il conclut en baissant la voix, un brin ému :
Des hommes comme lui, il en reste pas beaucoup. Il nous manque déjà.
Le dernier visage d’une génération enracinée
À la fin de sa vie publique, Poupoune continue de s’impliquer, notamment au CESE, comme représentant du monde agricole. Il participe aux réunions politiques, conseille les jeunes agriculteurs, accompagne les familles dans leurs démarches. Son franc-parler, sa lucidité sur l’impréparation institutionnelle face aux mutations agricoles, en font une voix singulière et précieuse.
Témoin d’une époque révolue, celle où la Brousse faisait société à part entière, il refusait pourtant toute nostalgie. Il voulait que la terre redevienne un avenir pour les jeunes. Il croyait dans un vivre-ensemble concret, à travers le travail et la production.
Chaque année, il rendait hommage à Jacques Lafleur à Ouaco, fidèle à ceux avec qui il avait rêvé d’une Calédonie forte dans la République. Jusqu’au bout, il s’est inquiété des déséquilibres structurels entre le Sud, le Nord et les Îles, appelant à une refonte complète des politiques agricoles, à l’échelle du pays tout entier.
Un homme du réel, debout jusqu’au bout
France Debien n’était pas un homme de discours, mais d’expérience. Sa parole était nourrie de vécu, de terre, de saison sèche et de bétail récalcitrant. Il représentait cette Calédonie qui ne demande pas grand-chose, sauf qu’on l’écoute et qu’on la respecte. Son décès laisse un vide dans le paysage politique, agricole et humain de la Nouvelle-Calédonie du Nord.
Il incarne une génération qui a connu la terre sans tracteur, les troupeaux sans subvention, et les débats politiques sans haine. Il restera comme l’un des derniers grands stockmen calédoniens, un homme debout, fidèle à ses valeurs, au service des autres sans jamais se mettre en avant.