La rédaction de La Dépêche de Nouméa a reçu une lettre ouverte que nous estimons nécessaire de porter à la connaissance de nos lecteurs. Dans un contexte local particulièrement tendu, où les équilibres politiques, institutionnels et sécuritaires sont en pleine recomposition, cette prise de parole — rare, argumentée, assumée — mérite d’être lue. Nous la publions dans son intégralité, sans ajout ni coupure, afin que chacun puisse se faire son opinion.
Lettre ouverte à qui de droit (et de travers)
En l’occurrence : à la CAFAT, aux banques, et à ceux qui conçoivent les règles sans jamais avoir à les subir
Madame, Monsieur, chers décideurs,
Je souhaite porter à votre attention la situation kafkaïenne que vit une jeune femme en situation de handicap — et probablement bien d’autres dans le même cas.
Après plusieurs années de démarches harassantes, elle a enfin obtenu une indemnité de la CAFAT pour son handicap. Un soulagement… de courte durée. Car depuis, elle en reverse une partie à la même caisse, au titre d’une assurance volontaire. Pourquoi ? Parce qu’étant dans l’impossibilité de travailler, elle ne peut pas bénéficier de l’assurance maladie classique. L’ironie est presque poétique.
L’indemnité lui est versée sur un compte bancaire courant, ouvert spécialement parce que son compte épargne n’était, paraît-il, pas compatible. Résultat : des frais bancaires, bien réels, eux. On appréciera l’efficacité.
Mais ce n’est pas tout. Placée sous curatelle renforcée, elle ne peut pas retirer d’argent toute seule. Chaque retrait nécessite un déplacement à la banque avec sa curatrice, une double signature, puis l’intervention d’un chargé de compte pour valider l’opération. Cela peut prendre 5 minutes… ou 30. Et si ce délai est dépassé, la demande s’annule. Il faut alors tout recommencer. Toujours sans perdre patience, évidemment .
Une fois l’argent en main — victoire ! — direction le guichet de la CAFAT… où on lui apprend que les paiements en espèces ne sont plus acceptés. « C’est la direction », dit-on. Ah, la fameuse direction, entité impalpable et pourtant toute-puissante. Une remarque : vous pourriez peut-être, de temps en temps, écouter ce que vivent les usagers ?
Il faut alors trouver un intermédiaire pour régler à sa place, par chèque ou carte bancaire. Dans une logique d’autonomisation, c’est plutôt… comment dire… contre-productif.
Cette jeune femme fait tout pour gagner en autonomie. Mais comment progresser quand chaque étape administrative est un parcours du combattant semé de contradictions ?
Cette lettre n’est pas qu’un cri du cœur, c’est un appel à réfléchir aux conséquences concrètes des politiques appliquées, parfois sans nuances ni exceptions. À repenser des procédures qui, au lieu d’accompagner, compliquent et infantilisent.
Merci de m’avoir lue.
Et pardon si l’humour s’invite dans cette lettre, c’est une stratégie de survie face à l’absurde. Corinne
Cette lettre ouverte témoigne d’une réalité de terrain, vécue, ressentie, assumée. Sans invective, sans outrance, elle met des mots sur des tensions que beaucoup perçoivent sans toujours oser les exprimer. Dans une période aussi incertaine pour la Nouvelle-Calédonie, il est essentiel que les voix du quotidien — celles des citoyens, des agents publics, des acteurs de terrain — puissent se faire entendre.
À La Dépêche de Nouméa, nous encourageons ce type de contribution : directe, sincère, argumentée. Car c’est aussi à travers ces prises de parole que se construit le débat public. Exprimer un point de vue, dénoncer un dysfonctionnement ou proposer une piste d’amélioration, ce n’est pas juger — c’est participer.
À ceux qui hésitent encore à écrire, nous disons simplement : vous êtes légitimes. Prenez la plume, posez vos mots. L’important n’est pas d’avoir raison, mais d’oser dire, avec respect et lucidité, ce que beaucoup vivent parfois en silence.