C’est une fronde inédite, qui embarrasse l’État et fracture davantage encore le paysage coutumier calédonien. Réunis au sein de l’Alliance des Royaumes Kanak – INAAT NE KANAKY, ces représentants coutumiers annoncent leur refus catégorique de participer à un dialogue « orchestré par Paris » et dénoncent une confiscation de la parole autochtone par des institutions jugées « coloniales », comme le Sénat coutumier.
Une contestation frontale contre Paris… et contre Nouméa
À travers un manifeste de deux pages, l’Alliance des Royaumes Kanak – INAAT NE KANAKY adresse un message de rupture sans ambiguïté. Le ton est grave, les mots choisis avec soin mais sans concession :
Le Sénat coutumier est une institution de la République française et ne peut pas décider de l’avenir de la coutume
affirment les signataires. Une manière claire de délégitimer le cadre institutionnel actuel, et de refuser toute participation au dialogue national sans la présence directe des autorités coutumières traditionnelles.
Selon ce collectif de grands chefs et de souverains, l’État instrumentalise les instances coutumières pour valider un projet politique rejeté par la base : le dégel du corps électoral est qualifié de passage en force, tandis que l’aide financière accordée à la Nouvelle-Calédonie (120 milliards CFP) est dénoncée comme une tentative hypocrite de sauvetage.
Une contre-initiative en forme de déclaration d’indépendance morale
Face à ce qu’elle perçoit comme une exclusion, l’Alliance organise sa propre assemblée. Les 1er et 2 juillet 2025, une session extraordinaire de l’Assemblée du peuple kanak se tiendra dans la tribu de Bayes, au royaume de Nâgèè. Un événement destiné à marquer un désaccord radical avec les travaux de l’Élysée, et à revendiquer une souveraineté politique, culturelle et spirituelle.
La déclaration insiste sur une légitimité ancienne et spirituelle, fondée sur la transmission clanique, le combat des ancêtres contre la colonisation, et la mémoire d’un peuple meurtri mais debout.
« Exécutés, guillotinés, exilés… », la litanie des souffrances est invoquée pour justifier un droit à l’autodétermination totalement autonome. Le ton est celui de la résistance, presque insurrectionnel :
Nous ne pouvons plus continuer à nous taire et laisser mourir à petit feu notre coutume.
Un appel à la scène internationale, dans l’esprit de Mandela
La dernière partie du manifeste prend une dimension internationale. Elle fait appel au droit international, accuse l’État de trahir ses engagements, et annonce que la voie de la diplomatie directe sera désormais privilégiée.
La citation de Nelson Mandela, « Tout ce qui est fait pour moi, sans moi, est fait contre moi », inscrit cette démarche dans une logique d’émancipation universelle. Le message est clair :
l’Alliance des Royaumes Kanak ne reconnaît plus la légitimité de l’État français, ni celle des représentants politiques locaux, et entend porter seule, avec ses chefs coutumiers, la parole du peuple kanak.
En creux, cette posture met aussi la pression sur les mouvements indépendantistes historiques – FLNKS, Union calédonienne, Palika – accusés d’avoir rompu le lien avec la base coutumière en acceptant un dialogue structuré par la République.
État, coutume et rivalités d’influence
Dans les faits, deux lignes s’opposent désormais au sein même du monde coutumier.
D’un côté, le Sénat coutumier, institution issue de l’accord de Nouméa, mais accusée d’opacité et de centralisme.
De l’autre, Inaat Ne Kanaky, qui revendique une parole plus directe, enracinée dans les chefferies historiques, et conteste la légitimité d’un sénat « hors-sol ».
Cette fracture inquiète l’État. La proposition de médiation portée par le groupe de Baku a été accueillie avec froideur par Paris, qui redoute l’apparition d’interlocuteurs alternatifs dans un processus déjà fragilisé.
Pourtant, dans un climat de défiance généralisée, certains estiment que cette voie coutumière directe pourrait réconcilier les institutions avec une base populaire de plus en plus distante des logiques partisanes.
À l’Élysée, un sommet sous pression
À quelques encablures d’un sommet que l’Élysée présente comme « une chance historique de refonder un avenir commun », l’irruption des Royaumes Kanak vient fissurer un peu plus le socle fragile de la négociation.
En contestant la légitimité du Sénat coutumier, en refusant tout cadre institutionnel français, en organisant une assemblée parallèle, les chefs traditionnels de l’Alliance installent un rapport de force inédit.
Dans ce bras de fer inédit, l’État devra trancher : écouter les voix issues du terrain coutumier ou maintenir le cap d’un dialogue institutionnel déjà contesté. En refusant de s’asseoir à la table des discussions sans reconnaissance pleine et entière de leur souveraineté, les chefs de l’Alliance des Royaumes Kanak posent une question de fond : qui, en 2025, incarne véritablement la légitimité kanak ?