Annoncé comme le navire amiral du développement des Îles Loyauté, le Wadra Bay Resort de Lifou, un cinq étoiles à 5 milliards, vient d’être placé en redressement judiciaire. Un projet hors norme, jamais ouvert, est aujourd’hui menacé de naufrage économique.
Le rêve avorté du Wadra Bay Resort
Ce devait être le fleuron du tourisme calédonien, le « joyau » hôtelier de Lifou et un levier stratégique pour désenclaver économiquement les Îles Loyauté. Pourtant, le Wadra Bay Resort n’a jamais accueilli un seul client. Ce lundi 30 juin, le tribunal de commerce de Nouméa a scellé une nouvelle étape dans ce fiasco en prononçant la mise en redressement judiciaire de la SAS Gygadeix, société exploitante de l’établissement. Elle dispose désormais de six mois pour tenter de sauver ce complexe cinq étoiles flambant neuf… mais désespérément vide.
Inauguré symboliquement en grande pompe fin 2023, en présence des autorités coutumières et institutionnelles, le Wadra Bay Resort n’a cessé d’accumuler les retards de chantier, les surcoûts, les changements d’opérateur et les tensions politiques. Sa non-ouverture, initialement prévue pour décembre 2024, a été officiellement attribuée à des « difficultés financières », aggravées ensuite par les émeutes de mai 2024, qui ont paralysé le territoire et plombé la confiance des investisseurs.
Un chantier hors normes… et hors de contrôle
Lancé en 2019, le projet avait pourtant de quoi faire rêver. Implanté dans la baie de Wadrilla, sur des terres foncières mobilisées par le GDPL Gouzela et les clans du district de Lössi, le complexe hôtelier visait à révolutionner l’offre touristique de la province des Îles Loyauté.
L’objectif affiché : attirer une clientèle haut de gamme à l’international, soutenir le secteur du BTP local, offrir une cinquantaine d’emplois directs à la jeunesse drehu, et surtout, rééquilibrer le développement entre la Grande Terre et les îles.
Le coût total du projet a rapidement explosé. Estimé au départ à 3,5 milliards de francs CFP, il atteint aujourd’hui la barre des 5 milliards, financés par un montage complexe : subvention d’un milliard de la province, crédit d’impôt de 695 millions, défiscalisation locale à hauteur de 1,4 milliard, soutien de la SODIL sur fonds propres et emprunt contracté auprès de la Caisse des dépôts et consignations. À cela s’ajoute une rallonge budgétaire votée en 2022, non sans débat, par l’assemblée de la PIL.
Ce pari économique massif s’est transformé en impasse. L’InterContinental, un temps partenaire de l’exploitation, s’est désengagé. Des formations ont été lancées pour préparer le personnel, mais les embauches n’ont jamais été concrétisées. L’hôtel, devenu un simple vaisseau fantôme sur la côte sud de Lifou, attend encore l’étincelle de son ouverture.
Le symbole d’un modèle de développement en crise
Au-delà du cas Wadra Bay, c’est tout un modèle d’investissement public dans les îles qui vacille. Présenté comme un projet structurant, le resort incarne désormais le malaise d’une stratégie fondée sur de lourdes infrastructures sans écosystème économique solide. En coulisses, certains élus de la PIL, comme ceux du Palika, s’interrogeaient dès 2022 sur la pertinence d’un tel établissement, alors que d’autres hôtels de standing notamment sur la Grande Terre peinent à survivre sans subventions.
Le tribunal de commerce a ouvert une période d’observation de six mois. Il doit réexaminer le dossier en novembre prochain. Ce délai permettra-t-il de trouver un repreneur crédible ou de redéfinir le projet ? Rien n’est moins sûr. Les autorités locales devront trancher : s’entêter dans la logique du “grand projet” ou réorienter l’investissement public vers des solutions plus résilientes, durables et ancrées dans les réalités économiques du pays.
Le Wadra Bay Resort devait incarner l’ambition de toute une province. Il risque aujourd’hui de symboliser le naufrage d’un développement hors sol, déconnecté des attentes locales et des contraintes structurelles. Une décision stratégique devra être prise d’ici novembre. Mais pour Lifou, l’échec du Wadra Bay marque d’ores et déjà un tournant.