Le retour du sabre japonais sur l’échiquier stratégique
Longtemps tenu par sa Constitution pacifiste, le Japon rompt peu à peu avec l’après-guerre. Face aux tensions grandissantes avec la Chine, à l’instabilité nord-coréenne et aux incertitudes américaines, Tokyo revoit en profondeur sa doctrine de défense. Le gouvernement de Fumio Kishida, dans la continuité de Shinzo Abe, accélère le mouvement : budget militaire record, exportation d’armes autorisée, renforcement des alliances régionales. Une révolution à l’échelle du Pacifique.
En 2024, le Japon a voté un budget de défense historique de 8 000 milliards de yens. Objectif : doubler les dépenses militaires d’ici 2027 pour atteindre les 2 % du PIB. Le pays se dote de missiles de croisière américains Tomahawk, développe des armes hypersoniques, et modernise sa marine avec les nouvelles frégates Mogami. Le tout sous un nouveau mot d’ordre : « pacifisme proactif ».
Un Indo-Pacifique sous tension, un Japon en alerte
Dans une région marquée par la montée en puissance de la Chine, les ambitions militaires japonaises ne sont pas qu’une posture. Tokyo veut défendre ses intérêts vitaux dans l’Indo-Pacifique, notamment la libre navigation et la sécurité des routes maritimes. Les forces japonaises d’autodéfense (JSDF) multiplient les exercices conjoints avec les États-Unis, l’Australie, l’Inde et les Philippines dans le cadre du QUAD.
Le Japon renforce aussi ses partenariats bilatéraux avec des accords d’accès réciproque (RAA) : avec l’Australie, le Royaume-Uni et récemment les Philippines. Résultat : les troupes japonaises peuvent désormais être déployées en dehors de l’archipel, dans un cadre multinational. C’est un virage stratégique que le Japon n’avait pas connu depuis 1945.
Dans le Pacifique Sud, Tokyo relance le PALM (Pacific Islands Leaders Meeting), un format diplomatique ciblant les petites nations insulaires, notamment pour contrer l’influence grandissante de Pékin. Cette stratégie complète l’arc de coopération maritime et économique que construit le Japon pour sécuriser ses approvisionnements énergétiques.
Alliances, menaces, Constitution : les défis d’un géant qui se réveille
Ce réarmement ne se fait pas sans débats. Si une partie de la population soutient ce retour en force, l’article 9 de la Constitution, garant du pacifisme japonais, reste un tabou. Les amendements de 2014 ont permis des opérations extérieures en soutien à des alliés, mais toute réforme plus profonde reste politiquement risquée.
Par ailleurs, le réarmement inquiète certains voisins, notamment la Corée du Sud et la Chine, pour qui l’histoire du militarisme japonais reste une plaie ouverte. Tokyo tente de rassurer en insistant sur une posture uniquement défensive, dans le cadre de partenariats internationaux.
Enfin, le Japon reste fortement dépendant des États-Unis pour son parapluie nucléaire et ses systèmes de renseignement. Une instabilité politique à Washington, notamment en cas de retour de Donald Trump, pourrait fragiliser cette alliance centrale et pousser Tokyo à une plus grande autonomie stratégique.
Le Japon n’est plus spectateur. Il redevient un acteur central de l’axe Indo-Pacifique, avec une armée modernisée, des alliances élargies et une stratégie affirmée face à la Chine. Cette mue militaire bouleverse les équilibres régionaux. Le sabre du Pacifique est de retour — et cette fois, il est numérique, hypersonique, et connecté aux grandes puissances démocratiques du XXIe siècle.