Condamné pour détournement de fonds publics et frappé d’inéligibilité immédiate, Philippe Gomès voit sa carrière politique brutalement interrompue par la justice. Après deux décennies d’influence ininterrompue, de la province Sud au gouvernement local, le fondateur de Calédonie Ensemble est rattrapé par des pratiques contestées liées à l’emploi de collaborateurs. Cette décision judiciaire relance un débat profond sur son héritage politique, entre stratégie institutionnelle, ruptures internes et bilans économiques controversés.
Le « fossoyeur de la Nouvelle-Calédonie », condamné
Condamné pour détournement de fonds publics et frappé d’inéligibilité immédiate, Philippe Gomès quitte la scène par la petite porte. L’ancien président du gouvernement, député et pilier de la vie institutionnelle calédonienne depuis 2004, vient de subir la sanction que ses opposants espéraient depuis longtemps : une exécution judiciaire sans appel, du moins dans l’opinion. Pour Sonia Backès, il s’agit ni plus ni moins que de « la fin programmée d’un destructeur ».
Une carrière jalonnée de décisions structurantes… et contestées
L’ascension politique de Philippe Gomès débute véritablement en 2004, lorsqu’il parvient à prendre la tête de la province Sud, en s’appuyant sur une coalition inattendue entre son mouvement Avenir Ensemble et les élus du Front national. Cette prise de pouvoir met fin à l’ère Jacques Lafleur, brise l’unité du camp loyaliste et marque une rupture durable dans le paysage institutionnel calédonien. Lors de son discours de politique générale, le nouveau président de la province déclare : « La priorité de la province Sud, c’est la province Nord », signe d’un repositionnement stratégique aux effets durables.
Mais c’est en 2007 que se joue un tournant politique majeur : lors des législatives, Philippe Gomès se présente à la dernière minute, malgré l’investiture officielle de l’Avenir ensemble en faveur de Didier Leroux pour la première circonscription. Cette trahison politique du maire de La Foa offre la victoire au candidat du Rassemblement, Gaël Yanno. En réaction, P. Gomès fonde Calédonie ensemble, nouveau véhicule politique centré autour de sa personne et de sa stratégie.
Au fil des années, les décisions portées par Philippe Gomès suscitent autant de soutiens que de critiques, parfois même au sein de son propre camp. Plusieurs projets emblématiques, jugés ambitieux mais clivants, jalonneront son parcours :
Le programme des 1 000 logements sociaux par an, qui, bien qu’ayant répondu à une demande pressante, a révélé ses limites lors des émeutes de mai 2024 ;
La calédonisation progressive des compétences régaliennes, qui a modifié les équilibres internes dans plusieurs administrations sensibles, notamment au sein des forces de sécurité ;
L’augmentation rapide du nombre d’agents à la province Sud, avec une hausse de 50 % des effectifs en cinq ans, pointée du doigt pour son impact budgétaire ;
Le projet hôtelier de Deva, avec ses 187 chambres construites malgré des préconisations techniques plus modestes, générant, selon plusieurs audits, une perte cumulée de 10 milliards CFP ;
La défense du modèle industriel de l’usine du Nord, malgré des incertitudes récurrentes sur sa rentabilité à long terme ;
Le soutien à la montée au capital de la SLN par la Nouvelle-Calédonie, opération coûteuse et aujourd’hui critiquée au regard de la situation financière du secteur ;
Enfin, le refus d’ouvrir le débat sur le dégel du corps électoral dès 2007, une position alors jugée stratégique, mais qui aurait privé l’État d’une visibilité plus fine sur les aspirations réelles des électeurs.
À cette liste s’ajoute l’un des dossiers les plus contestés de la mandature Gomès : la mise en place de la Taxe générale à la Consommation (TGC). Présentée comme une réforme de modernisation fiscale, elle suscite encore aujourd’hui interrogations et critiques quant à son efficacité économique réelle, en particulier face à la vie chère.
Ces orientations ont profondément marqué la gouvernance locale et nourrissent encore aujourd’hui de nombreux clivages dans le paysage politique calédonien.
Le poison lent du double jeu
En 2014, élu sur une ligne ouvertement « loyaliste », Philippe Gomès entame un virage ambigu. Tout en continuant d’endosser les habits du défenseur de la France, il multiplie les positions conciliantes envers les indépendantistes. En 2019, sa posture devient caricaturale : dans chaque négociation, il ne défend plus son camp, mais égrène les objections supposées des indépendantistes. Le point de rupture a lieu à Deva, le 6 mai 2024, quand il soutient ouvertement le projet d’indépendance-association proposé par Manuel Valls, allant jusqu’à reprendre l’argument de la menace de nouvelles violences pour le justifier.
Pendant que Nouméa brûlait, le 13 mai, nul ne sait où était Gomès. Ni sur les barrages, ni dans les quartiers. L’homme fort d’hier est devenu l’absent d’aujourd’hui.
Le coup de grâce de 2019 : l’isolement stratégique
Le véritable point de rupture survient en mai 2019, au lendemain des élections provinciales. En position affaiblie, Philippe Gomès tente de constituer une majorité, dans les institutions, en s’alliant avec les groupes indépendantistes, dans l’objectif assumé d’empêcher l’Avenir en confiance, coalition issue de la droite loyaliste, de gouverner. Un pari politique qui se retourne contre lui : deux figures montantes de Calédonie Ensemble, Nicolas Metzdorf et Nina Julié, choisissent alors de quitter le parti, refusant toute entente avec les indépendantistes.
Ce désaveu interne entame gravement sa crédibilité, et marque le début d’un isolement politique de plus en plus visible. À partir de cette date, plus aucune alliance stable ne sera possible, ni avec les indépendantistes, méfiants à son égard, ni avec les non-indépendantistes, divisés par ses choix successifs. Son poids politique se réduit, malgré une présence constante dans les négociations institutionnelles.
Une condamnation qui scelle une trajectoire
La décision du tribunal correctionnel de Nouméa, qui le frappe d’inéligibilité avec exécution immédiate, ne laisse plus guère de place au doute : la page Gomès se tourne brutalement. Pourtant, Calédonie Ensemble dénonce un jugement en contradiction avec les décisions du parquet et du siège en 2013 et 2014, rappelant qu’aucune évolution juridique ou législative ne justifie un tel revirement. Le parti annonce un appel, un référé suspension et un recours au fond devant le Conseil d’État.
Mais le mal est fait : Philippe Gomès perd ses mandats à la province Sud et au Congrès, après deux décennies d’omniprésence institutionnelle. De l’Avenir Ensemble à Calédonie Ensemble, il aura été président du gouvernement, député, chef de groupe et souvent… seul contre tous.
Pour ses adversaires, cette condamnation est plus que juridique : elle est politique, morale et historique. Sonia Backès l’écrit noir sur blanc : « Sa parole ne peut plus être entendue après cela. »
Si Philippe Gomès est fragilisé par la décision rendue ce mardi 1er juillet 2025, il doit encore affronter l’issue du verdict de la Cour de cassation, lié à Nouvelle-Calédonie Énergie.
La condamnation de l’ancien député de la seconde circonscription clôt un cycle politique qui aura durablement façonné la vie institutionnelle calédonienne, souvent dans la division. Si ses soutiens dénoncent une manœuvre judiciaire, ses opposants y voient la juste conséquence d’années de décisions clivantes, parfois perçues comme contraires à l’intérêt général.
Reste une question centrale : un homme politiquement affaibli et juridiquement disqualifié peut-il encore prétendre peser sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie ?