Avis sévère de la Chambre territoriale des comptes de la Nouvelle-Calédonie : l’institution alerte sur l’impossible équilibre budgétaire de la bibliothèque Bernheim pour 2025 et presse les autorités d’agir.
Une institution culturelle en sursis financier
C’est un coup de semonce budgétaire que vient de lancer la Chambre territoriale des comptes (CTC) à l’encontre de la bibliothèque Bernheim. Dans un avis officiel délibéré le 26 mai 2025 et diffusé début juillet, la juridiction financière tire la sonnette d’alarme : le budget 2025 de l’établissement public est voté en déséquilibre, avec un déficit abyssal de 89,6 millions de francs CFP. Une situation que la Chambre juge impossible à redresser sans mesures structurelles drastiques, faute de quoi l’avenir même de la mission de service public de Bernheim serait compromis.
Saisie en application de l’article 208-2 de la loi organique statutaire, la CTC rappelle que sa mission est de proposer les moyens de retour à l’équilibre, ce qui suppose cette fois des diminutions drastiques dans les services, les dépenses de fonctionnement et potentiellement dans la masse salariale. Une perspective préoccupante pour un établissement dont la mission est de conserver le patrimoine calédonien tout en assurant la diffusion de la lecture publique sur l’ensemble du territoire.
Baisse des financements, hausse des charges : une équation impossible
Le diagnostic est sévère mais documenté : entre 2019 et 2024, la bibliothèque a vu ses produits chuter de 24,5 %, pendant que ses charges augmentaient de 19,5 %. En cause, le désengagement progressif des principaux financeurs, notamment la province Sud dès 2021, et la province Nord à partir de 2024. Seul l’État maintient pour l’heure ses engagements.
Ces retraits successifs de collectivités, non compensés par des conventions fermes, ont mis Bernheim dans l’incapacité de financer son programme 2025. D’autant plus que la trésorerie disponible ne permettait plus, à la date de l’avis, de couvrir les dépenses au-delà du mois de septembre. Autrement dit : la bibliothèque ne peut plus fonctionner sans décisions urgentes.
En réponse, le conseil d’administration a dû agir rapidement : 20 millions de francs ont été extraits du budget d’investissement, sacrifiant notamment l’achat de nouveaux ouvrages et de logiciels. À cela s’ajoutent des mesures de rigueur sur les ressources humaines : gel des embauches, non-remplacement des départs en retraite et suppression de postes.
Entre continuité culturelle et redressement imposé
Malgré les coupes, la bibliothèque maintient tant bien que mal ses missions. Les animations pour enfants continuent, et des partenariats avec les médiathèques des îles (Lifou, Ouvéa) ou du Nord (Poindimié, Koumac, Pouembout) permettent une présence territoriale minimale. Mais les projets de décentralisation dans les tribus sont suspendus, faute de moyens.
La présidente du conseil d’administration, Wali Wahetra, évoque une “réflexion globale à mener”. Il s’agit désormais de redéfinir les ressources propres de Bernheim, notamment via la création de nouvelles régies dans le cadre de la future bibliothèque, toujours en chantier dans le centre-ville de Nouméa.
Ce chantier colossal – estimé à 1,145 milliard de francs CFP – devrait s’achever au premier trimestre 2026. En attendant, Bernheim reste hébergée dans des locaux temporaires près de la place des Cocotiers. Le défi est double : assurer la continuité du service public, tout en trouvant les financements pérennes pour un outil culturel majeur dans une société calédonienne toujours plus fragilisée.
Le compte à rebours institutionnel est lancé
La procédure enclenchée par la Chambre territoriale des comptes est encadrée par la loi organique. Le conseil d’administration de la bibliothèque dispose d’un mois pour adopter un plan de redressement. Si celui-ci est jugé insuffisant, la CTC pourra saisir le haut-commissaire, qui aura alors la responsabilité de rendre exécutoire un budget conforme, y compris contre l’avis des administrateurs.
À l’inverse, si la CTC estime les mesures de redressement suffisantes, elle mettra fin à la procédure par un avis favorable. Le sort budgétaire de Bernheim est donc suspendu à une série d’étapes institutionnelles dans les semaines à venir.
La bibliothèque Bernheim traverse une crise de financement historique, symptôme d’un désengagement progressif des collectivités dans un contexte économique tendu. En exigeant un plan de redressement, la Chambre territoriale des comptes pose les termes d’un arbitrage politique : quelle place donner à la culture et à l’accès à la connaissance dans la Nouvelle-Calédonie de demain ? En attendant, Bernheim devra composer avec moins…pour continuer à servir plus.