En crise, AMC Sud se réinvente face à l’effondrement du nickel et l’indifférence politique.
Une industrie calédonienne au bord du précipice
L’industrie locale paie aujourd’hui le prix fort de la crise du nickel. À Ducos, AMC Sud, leader calédonien de la chaudronnerie industrielle, traverse l’une des périodes les plus critiques de son histoire. En moins de deux ans, l’entreprise a vu fondre 60 % de son chiffre d’affaires, conséquence directe de la fermeture de l’usine KNS et de l’effondrement du secteur métallurgique.
Dans un entretien accordé à l’émission L’instant économique, son directeur Vincent Reuillard ne mâche pas ses mots :
On chiffre presque à perte pour tenir.
Une formule qui résume la brutalité du choc.
Créée en 1963, AMC Sud est un fleuron du savoir-faire calédonien, doté d’un atelier de 2 000 m² équipé au niveau international. Mais aujourd’hui, son avenir dépend d’un subtil équilibre entre survie et transformation.
L’après-nickel : diversification forcée et réductions drastiques
Face à l’assèchement de la commande industrielle, AMC Sud n’a eu d’autre choix que de réduire de moitié ses effectifs en 2024.
C’est douloureux, mais nécessaire
confesse Vincent Reuillard. Ce recentrage stratégique s’est doublé d’une réorientation : la fabrication de bateaux en aluminium.
Un pari risqué mais ambitieux, fondé sur un constat simple : il n’existe quasiment pas de production locale de bateaux aluminium à échelle industrielle. Or, le marché existe : les Calédoniens plébiscitent ce type d’embarcations, robustes, simples et adaptées au lagon.
En parallèle, AMC Sud explore de nouveaux débouchés connexes, comme les remorques et la réparation navale. Une manière d’ouvrir des portes, malgré un contexte où la concurrence internationale (Australie, Chine, Europe) reste redoutable.
Un savoir-faire local fragilisé par l’absence de soutien public
La colère est palpable dans les propos du dirigeant.
Je n’ai aucun avantage, à part la TGC à 3 %.
Cette phrase résume le sentiment d’abandon ressenti par l’industrie calédonienne.
La perspective d’un libre-échange avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande inquiète Vincent Reuillard :
Si les importations de bateaux sont alignées sur ma fiscalité, je suis mort.
Il rappelle un fait trop souvent ignoré : les coûts de production sont aussi élevés à Nouméa qu’à Brisbane. À la différence près que le marché calédonien est 20 fois plus petit, sans les économies d’échelle qui permettraient de rester compétitifs.
Le risque est double : perte du tissu industriel local et fuite des compétences. AMC Sud voit partir ses soudeurs, ses techniciens, attirés par de meilleures perspectives ailleurs. Et pourtant, les équipes qui restent sont fières de produire localement.
Une filière qui croit encore à l’avenir, malgré tout
Malgré les vents contraires, AMC Sud ne baisse pas les bras. La stratégie repose sur trois piliers : maintenir l’excellence technique, occuper le terrain des prix quand cela est nécessaire, et investir dans une diversification intelligente.
L’entreprise veut faire de la construction navale un nouveau fer de lance, avec l’ambition de concurrencer les importateurs. Mais pour cela, il faudra plus qu’un effort d’entreprise : il faudra une volonté politique claire.
Vincent Reuillard le dit avec lucidité :
On a un pays à reconstruire. L’industrie peut et doit y contribuer.
Pour cela, il appelle à reconnaître enfin la valeur de la production locale, souvent dénigrée, contrairement à ce qu’on observe dans d’autres pays insulaires ou ultramarins.
Derrière les chiffres, il y a des visages
La réduction de 50 % des effectifs chez AMC Sud n’a rien d’un simple ajustement comptable : ce sont des dizaines de familles calédoniennes qui ont vu leur quotidien bouleversé. Vincent Reuillard évoque avec gravité cette décision :
Ce n’est pas agréable à faire, mais nous n’avions pas le choix.
Pour une entreprise de taille moyenne, ces licenciements ont laissé des traces profondes dans les équipes, tant sur le plan moral qu’opérationnel. Certains salariés ont quitté le territoire, découragés, d’autres tentent de rebondir localement, sans toujours y parvenir. Ce choc humain est d’autant plus dur que beaucoup de ces techniciens qualifiés étaient formés en interne, au fil des années, constituant un patrimoine de compétences aujourd’hui fragilisé. AMC Sud n’est pas seulement une entreprise, c’est un lieu de savoir-faire et de transmission, et sa vulnérabilité actuelle pose une question simple mais lourde : que devient une économie quand elle laisse partir ses talents ?
Une industrie à soutenir ou à sacrifier ?
Le cas AMC Sud est emblématique d’un tournant pour l’économie calédonienne. Si les politiques publiques ne prennent pas la mesure de la gravité de la situation, la disparition de pans entiers de l’industrie locale est inévitable.
À l’heure où tout le monde parle de relance, il est temps de passer des discours aux actes. Une industrie, ce n’est pas qu’un chiffre d’affaires ou une ligne comptable. C’est un savoir-faire, des familles, une fierté. Et ça, en Calédonie plus qu’ailleurs, ça devrait compter.
@AMC SUD