Un faux covoiturage scolaire déguisé met en lumière les failles inquiétantes du transport scolaire en Nouvelle-Calédonie.
Une affaire révélatrice des dérives du transport scolaire
L’arrestation d’une conductrice non déclarée assurant illégalement le ramassage scolaire à Nouméa ne relève pas du simple fait divers. Elle met au jour un phénomène plus profond et largement ignoré : la précarisation du transport scolaire en Nouvelle-Calédonie et la multiplication de pratiques en marge de la légalité. Si cette affaire a été traitée comme un cas isolé, elle révèle en réalité un vide réglementaire et un besoin urgent de régulation, alors même que des milliers d’élèves calédoniens dépendent chaque jour de ces trajets pour accéder à leur établissement scolaire.
Des contrôles ciblés qui mettent au jour des pratiques illégales
Lors d’opérations de contrôle de routine, les forces de l’ordre peuvent intercepter des véhicules en activité devant les collèges du territoire. Souvent, le constat est alarmant : pneus lisses, absence d’assurance professionnelle, aucun agrément de transporteur… le tableau est celui d’une mise en danger manifeste des enfants transportés. Les conducteurs prétendent régulièrement pratiquer du covoiturage ; cependant, ces faits sont rapidement démentis par l’enquête. En réalité, une rémunération mensuelle pour un service régulier de ramassage scolaire, sans déclaration ni assurance, est très souvent avérée.
Ces cas, loin d’être anecdotiques, s’inscrivent dans un contexte plus large où des offres informelles pullulent sur les réseaux sociaux, en réponse à la pénurie structurelle de transport scolaire, notamment dans les zones périurbaines de Nouméa, du Mont-Dore ou de Dumbéa. Le risque ? Voir se généraliser des pratiques hors cadre, au détriment de la sécurité des enfants et de la transparence sociale.
Témoignage : « Je savais que c’était pas déclaré, mais je n’avais pas le choix »
Jean-Marc, 42 ans, père de deux enfants scolarisés à Nouméa, raconte avoir utilisé pendant plusieurs mois les services d’un conductrice non agréée pour assurer les trajets domicile-collège.
Je travaille en horaires décalés dans la restauration. Le matin, je pars avant 6 heures, et ma femme est aide-soignante, souvent de nuit. On habite au Mont-Dore, et il n’y avait tout simplement pas de bus scolaire à l’heure qui convenait pour déposer mes enfants au collège.
C’est par bouche-à-oreille qu’il entend parler d’une « dame sérieuse » qui assure les trajets pour plusieurs familles, moyennant une participation financière mensuelle.
Oui, je savais qu’elle n’était pas déclarée, mais je l’ai rencontrée, j’ai vu qu’elle avait un bon contact avec les enfants. Elle était toujours à l’heure, elle attachait les ceintures, elle roulait prudemment. Pour moi, c’était mieux que de les laisser marcher seuls au petit matin sur la route principale.
Jean-Marc reconnaît que l’absence d’assurance et d’agrément posait problème, mais il insiste sur le contexte local :
C’est facile de juger, mais quand t’as pas de solution, tu prends ce que tu peux. Je ne pouvais pas me permettre de rater le travail tous les matins ou de payer un taxi tous les jours. Ce n’est pas un choix de confort, c’est un choix par défaut.
Sécurité des élèves et fraude sociale : les deux bombes du système parallèle
Les enjeux dépassent largement la question du transport. Ce type d’activité non déclarée échappe totalement aux obligations de sécurité imposées aux transporteurs scolaires agréés : contrôle technique renforcé, permis spécifiques, formation à l’accueil d’enfants. Un accident dans ce cadre illégal pourrait avoir des conséquences dramatiques.
Par ailleurs, ces conducteurs clandestins ne déclarent pas leurs revenus, créant une forme de travail dissimulé qui nuit aux circuits économiques classiques. En période d’efforts budgétaires et de rationalisation de la dépense publique, cette zone grise devient un manque à gagner considérable pour les caisses sociales et fiscales du territoire.
Encadrer d’urgence le secteur avant la catastrophe
Cette affaire n’est pas un épiphénomène : elle révèle une crise larvée du transport scolaire en Nouvelle-Calédonie, absence de solutions alternatives légales, et montée de l’économie informelle. Il est temps d’adapter les dispositifs existants, d’encourager l’émergence de plateformes encadrées pour le covoiturage scolaire et surtout, de renforcer les contrôles sur les pratiques douteuses.
Car la sécurité des enfants ne peut pas dépendre d’un système parallèle bricolé au jour le jour. Et parce que ce sont toujours les plus fragiles qui paient les conséquences d’un encadrement défaillant, c’est dès maintenant que des réponses fermes et pérennes doivent être apportées.