L’ensemble des communes du Grand Nouméa redémarre un réseau de bus réduit, dans un climat encore instable. Mais entre endettement, sécurité et service minimum, la mobilité calédonienne traverse une zone de turbulences.
Une reprise sous contrainte, symbole d’une résilience collective
Le réseau de transport en commun du Grand Nouméa, autrefois ambitieux avec ses 30 lignes, fonctionne aujourd’hui en mode dégradé. Depuis la rentrée 2025, seules huit lignes essentielles sont opérationnelles. Cette refonte d’urgence, opérée après les émeutes de mai 2024, illustre une résilience inédite du territoire. Le Syndicat mixte des transports urbains (SMTU), présidé par Naïa Wateou, a fait le choix de relancer un service restreint mais stratégique, en partenariat avec l’opérateur Carsud.
Le réseau ne ressemble en rien à celui d’avant-crise. Horaires réduits, suppression des dessertes du soir, concentration sur les heures de pointe : la nouvelle offre cible uniquement les actifs et les scolaires. Un pari risqué, mais vital pour garantir un minimum de mobilité. Pourtant, les finances sont exsangues. Avec 27 milliards de francs CFP de dettes, dont 4 milliards à honorer chaque année jusqu’en 2046, le SMTU doit faire des choix drastiques.
Les adaptations sont constantes : prolongement de ligne à Païta, redéploiement partiel vers des zones prioritaires, réouverture partielle de la voie Néobus à Rivière-Salée prévue le 15 juillet. Mais aucun retour au réseau initial n’est envisagé. La reconstruction passera par l’optimisation, pas l’expansion.
Sécurité, incivilités et brigade dédiée : le second front de la reconstruction
Avant même les émeutes, les caillassages et agressions de conducteurs fragilisaient le réseau. Depuis, la question de la sécurité est devenue centrale. En avril 2024, à la demande de Carsud et avec l’appui de la Police nationale, une brigade de sécurisation des transports en commun a vu le jour — une première en Calédonie. Ce corps hybride, mêlant policiers nationaux et agents de sécurité privée, intervient jusqu’à Dumbéa, en zone police comme en zone gendarmerie.
Les premiers effets sont visibles : moins d’incidents après 18 h, baisse des agressions, et surtout un sentiment de sécurité renforcé pour les usagers. L’arrêt des bus en soirée contribue aussi à cette accalmie, mais au prix d’un service amoindri. Les chauffeurs, eux, ont été formés à la gestion des conflits et au harcèlement sexiste — un enjeu crucial, notamment pour les femmes utilisatrices régulières.
Malgré cela, les incivilités persistent, souvent minimisées. Les jets de pierre restent une réalité. Chaque pare-brise cassé coûte 120 000 francs, un fardeau de plus sur les finances publiques. La présidente du SMTU l’affirme : chaque dégradation empêche une baisse du ticket. Ce sont les quartiers les plus vulnérables qui paient le prix de leur propre marginalisation, privés de dessertes lorsque l’insécurité devient ingérable.
Un modèle économique à réinventer pour une mobilité plus inclusive
Étranglé par un modèle économique à bout de souffle, le transport calédonien peine à redémarrer. Autour du SMTU, Carsud et son opérateur Transdev tentent de sauver un service public fragilisé par la réduction drastique du réseau. Plus de la moitié des effectifs ont été supprimés, et une poignée de salariés a dû être reclassée en métropole, signe d’un malaise profond, mais aussi d’une solidarité à l’échelle nationale. Sur le terrain, les conducteurs composent tant bien que mal avec des horaires tendus, une polyvalence imposée et des conditions de travail dégradées. Si la fréquentation recule, les usagers restants saluent encore l’utilité du service, malgré un prix du ticket en hausse et une accessibilité restreinte. Le SMTU envisage une nouvelle tarification et n’exclut plus le recours à l’initiative privée, notamment dans les zones délaissées. Mais au-delà du bus, c’est toute la mobilité qu’il faut repenser : marche, vélo, mer ou câble doivent désormais s’inscrire dans une vision globale, moins dépendante de la voiture et plus ancrée dans les réalités du territoire.
Le réseau de transport en commun du Grand Nouméa est loin d’être sauvé, mais il est en marche. Grâce à la résilience de ses agents, au soutien de Transdev et à une coordination plus étroite entre pouvoirs publics et opérateurs, une nouvelle ère de la mobilité calédonienne pourrait émerger — si tant est que les moyens suivent.