Un an après les violences de 2024, moins d’un tiers des indemnisations a été versé. Assureurs, experts et sinistrés se renvoient la responsabilité.
Des sinistres massifs, mais une indemnisation au ralenti
Près de 3 500 sinistres ont été déclarés, pour un coût estimé à 942 millions d’euros ( 112 800 000 000 XPF). Un chiffre colossal pour un territoire où les primes annuelles d’assurance plafonnent à 200 millions. Pourtant, à peine 296 millions ( 35 520 000 000 XPF) ont été versés, soit 31 % du total. Pour les assureurs, la situation est inédite. Sur les 3 480 dossiers, 1 710 émanent d’entreprises, représentant 95 % du montant total des dommages.
Les 38 dossiers les plus lourds totalisent à eux seuls 320 millions d’euros ( 38 400 000 000 XPF). Ces cas complexes nécessitent des expertises poussées, en particulier pour évaluer les pertes d’exploitation — un exercice d’autant plus long que ces entreprises n’ont pas toutes repris leur activité.
Les assureurs affirment que 80 % des sinistrés ont touché un acompte ou une indemnisation complète, mais ils admettent que les pertes d’exploitation sont traitées plus lentement. Ces remboursements dépendent en effet de la reprise d’activité : sans elle, la liquidation judiciaire est souvent inévitable.
Autre facteur de lenteur : la responsabilité de l’État est sollicitée dans 80 % des dossiers, selon les rapporteurs. Les compagnies pointent du doigt l’inaction administrative, qui ralentit le traitement des demandes. Mais ces accusations restent souvent implicites.
Experts débordés, assureurs déboussolés
L’autre nœud du problème : le manque cruel d’experts. Indépendants des compagnies, ces professionnels ne sont ni assez nombreux, ni suffisamment formés pour faire face à une crise de cette ampleur. Leur neutralité est une garantie ; leur lenteur, une fatalité.
En temps normal, le parc d’experts en Nouvelle-Calédonie est adapté. Mais les événements de mai 2024 ont provoqué un embouteillage inédit. Et les sinistres liés à des entreprises — souvent industrielles — exigent des compétences techniques rares : machines détruites, stocks brûlés, bâtiments ravagés.
Les experts doivent également traiter des tonnes de justificatifs comptables pour évaluer les pertes d’exploitation. Des dossiers longs, techniques, parfois sans fin.
Les assureurs n’ont aucune influence sur le nombre d’experts disponibles, ni sur leur cadence. Ce sont des cabinets privés. En clair, les compagnies paient mais ne contrôlent pas, ce qui rend toute accélération très difficile.
Incertitude politique et fuite des investisseurs
Au-delà des aspects techniques, un facteur pèse lourdement sur la situation : l’attentisme généralisé. Patronat comme particuliers hésitent à reconstruire. Et tant qu’une décision n’est pas prise, l’indemnisation reste en suspens.
Certains chefs d’entreprise préfèrent attendre un accord politique durable avant d’envisager de nouveaux investissements. D’autres, déjà indemnisés, ont choisi de réinvestir ailleurs. L’échec du conclave de Deva a renforcé le climat d’incertitude.
Du côté des particuliers, les interrogations sont similaires : reconstruire sa maison incendiée, oui, mais où ? Rester dans un quartier exposé ou s’exiler vers un secteur plus sécurisé ? Ces choix sont lourds de conséquences, notamment pour la mixité sociale, qui s’effrite.
En toile de fond, la confiance s’effondre. Sans perspective claire, les investisseurs hésitent, les ménages doutent. L’assurance ne peut pas couvrir le vide politique.
Vers un désengagement des compagnies d’assurances ?
Face à des indemnisations qui représenteraient jusqu’à 36 années de bénéfices, plusieurs assureurs envisagent de quitter la Nouvelle-Calédonie. Même avec la réassurance, la pérennité de leurs activités dépendra des décisions prises à Paris. La suppression de la garantie « émeutes » dans les contrats, imposée après 2024, marque une rupture : le risque est devenu trop élevé. En réponse, les compagnies appellent à la création d’un fonds public d’indemnisation, sur le modèle de celui dédié au terrorisme. Sans solution rapide, l’assurabilité du territoire est menacée — et avec elle, toute perspective de reconstruction durable.
La crise de l’assurance en Nouvelle-Calédonie est bien plus qu’un problème technique. C’est un révélateur du malaise économique, social et politique d’un territoire à la croisée des chemins. Sans solution globale, ni les assureurs ni les assurés ne sortiront indemnes de cette tempête.