Un homme atteint de troubles psychiques a jeté sa nièce du quatrième étage à Nouméa. Un geste atroce qui révèle une crise silencieuse : celle de la schizophrénie et de sa prise en charge.
Une scène d’horreur à Nouméa : quand la maladie frappe sans prévenir
Ce samedi 12 juillet, un drame inimaginable s’est produit dans la cité Pierre-Lenquette à Nouméa. Une petite fille de deux ans a été projetée dans le vide depuis le quatrième étage d’un immeuble. Selon les premiers éléments, son oncle, auteur des faits, souffre de troubles psychiatriques sévères. Il a été immédiatement placé en garde à vue.
Le geste est incompréhensible, mais il n’est pas isolé. La maladie mentale, quand elle n’est ni diagnostiquée ni traitée, peut engendrer des actes d’une violence extrême. Le Code pénal, en son article 122-1, prévoit l’irresponsabilité pénale d’une personne dont le discernement est aboli par un trouble psychique. Si l’expertise médicale confirme son état, l’homme pourrait échapper à la justice pénale classique, mais être interné d’office.
38% des homicides sont commis lors du premier accès psychotique. Et la Nouvelle-Calédonie, avec une prévalence de 2 à 3 % de schizophrénie (contre 1 % en métropole), est particulièrement concernée.
Schizophrénie : une maladie grave, mal connue et mal comprise
La schizophrénie n’est ni une « double personnalité », ni un simple trouble de l’humeur. C’est une maladie psychiatrique complexe, affectant la pensée, les émotions et le comportement. Délire paranoïaque, hallucinations auditives, désorganisation de la pensée… Les symptômes sont dévastateurs et entraînent souvent un isolement social profond. Sylvain, 33 ans, est métis kanak et wallisien. Diagnostiqué schizophrène à l’âge de 22 ans, il accepte aujourd’hui de témoigner, pour briser le silence.
À 19 ans, j’ai commencé à entendre des voix. Je croyais que les gens parlaient de moi, même dans la rue. Je ne dormais plus. J’étais en colère sans savoir pourquoi. On disait que je faisais des crises, que je devenais violent, mais moi, je me sentais juste attaqué de partout. J’avais peur de tout le monde.
À 22 ans, j’ai fini par être hospitalisé au CHS. J’ai cru qu’on me punissait. Je refusais les médicaments. J’ai mis du temps à comprendre que j’étais malade. Quand le psychiatre m’a parlé de schizophrénie, j’ai d’abord refusé d’y croire. Pour moi, c’était un mot qui voulait dire « fou ». Chez nous, on n’en parle pas. On a honte.
Les causes sont multiples : hérédité, anomalies cérébrales, consommation de cannabis, traumatismes, stress intense. La maladie débute généralement entre 15 et 25 ans. Et elle est d’autant plus difficile à traiter que la stigmatisation pèse lourd.
En Nouvelle-Calédonie, la prévalence de la maladie est jusqu’à trois fois supérieure à celle de la métropole. Les malades, souvent jeunes, hommes, sans emploi, évoluent dans un climat de précarité extrême. Les violences peuvent alors surgir, sans prévention possible, en l’absence de traitement ou de suivi adapté.
Soutenir les familles : une clé pour prévenir les drames
Dans cette tragédie, une autre victime reste invisible : la famille. Vivre avec un proche atteint de schizophrénie, c’est vivre avec la peur, l’incompréhension, l’épuisement. En Nouvelle-Calédonie, le CHS Albert-Bousquet propose depuis 2021 le programme ProFamille, conçu par le psychiatre Hugues Cormier, pour accompagner les proches.
Dix-sept séances pour comprendre la maladie, développer des habiletés relationnelles, apprendre à gérer l’angoisse, la culpabilité, éviter l’épuisement. Ce programme s’adresse à ceux qui partagent le quotidien d’un proche atteint de schizophrénie, et leur offre des outils concrets, éprouvés, efficaces.
Pour ceux qui ne peuvent suivre ProFamille, le CHS a développé Schiz’Dit, une version allégée en sept rencontres. L’objectif est toujours le même : mieux comprendre pour mieux vivre, et éviter le pire.
Une justice à double vitesse ?
La schizophrénie, lorsqu’elle abolit le discernement, exonère de responsabilité pénale. Pourtant, la société attend des réponses. Peut-on accepter que l’horreur reste impunie ? Le droit prévoit l’internement d’office, mais il ne comble ni le vide pour les victimes, ni l’angoisse pour les proches.
La procédure est stricte : deux psychiatres doivent valider toute sortie. Et le préfet peut, en urgence, ordonner une hospitalisation d’office. La réinsertion sociale, souvent évoquée, reste un parcours semé d’embûches. Peu d’emplois, beaucoup de rejet. Malgré la rémission possible pour un tiers des patients, les portes restent fermées.
Cette dramatique affaire révèle, une fois encore, l’échec collectif face à la maladie mentale : des malades abandonnés, des familles à bout, des actes irréparables. Le choc de ce samedi 12 juillet doit faire bouger les lignes. Informer, traiter, accompagner, pour que plus jamais un enfant ne soit jeté du quatrième étage sans que personne n’ait rien vu venir.