Animal mystique pour les uns, baromètre écologique pour les autres, le dugong incarne à la fois la richesse culturelle et la fragilité de la biodiversité calédonienne. Pourtant, il ne resterait que 400 individus dans les lagons de Nouvelle-Calédonie.
Un symbole coutumier devenu sentinelle de la biodiversité
En visite d’une semaine sur le territoire, la directrice du WWF France a salué la biodiversité unique de la Nouvelle-Calédonie, rappelé l’urgence de protéger les espaces marins comme le dugong, et annoncé une campagne de survols pour en comptabiliser la population.
Présent dans les contes, les rituels et les chants traditionnels kanak, le dugong — parfois appelé vache marine — incarne la paix et l’harmonie avec l’océan. Il est aujourd’hui l’une des espèces les plus menacées du territoire, classée « en danger » depuis 2023. Ce changement de statut est dû à un déclin brutal de la population, aggravé par l’isolement génétique des dugongs calédoniens par rapport aux autres groupes du Pacifique.
Animal herbivore et discret, il vit dans les eaux peu profondes des côtes Ouest et Nord-Est de la Grande Terre. Mais la destruction de son habitat, le braconnage persistant, les collisions avec les bateaux et les dérangements humains mettent en péril ses derniers refuges. À ces menaces locales s’ajoute une méconnaissance générale du public quant à la situation critique de l’espèce.
Une mobilisation locale, nationale et internationale structurée
Face à ce constat alarmant, un plan d’action spécifique, le PAD (Plan d’Action Dugong), a été initié dès 2009. Piloté par l’Agence pour la Conservation de la Biodiversité (ANCB), il coordonne aujourd’hui les efforts des provinces, des gestionnaires de l’environnement, du WWF et de l’État. Ce dernier s’engage, par le biais du Fonds Vert et du programme France Nation Verte, à financer les opérations de sauvegarde.
L’objectif est clair : éradiquer les menaces d’origine humaine et restaurer la capacité de résilience de la population. Cela passe par des actions concrètes telles que le comptage aérien, la surveillance des zones sensibles, l’étude de l’état de santé des dugongs, et la sensibilisation des habitants. Les zones de conservation s’appuient également sur le soutien des communautés coutumières, bien que la chasse soit officiellement interdite depuis 1962 (avec quelques rares dérogations en province Nord jusqu’en 2004).
Sur le plan international, la France est signataire du Mémorandum sur la conservation du dugong, établi en 2007 par la CMS (Convention sur les espèces migratrices), avec 25 autres pays. Le Programme régional océanien de l’environnement (PROE) et la CMS pilotent également un plan d’action coordonné à l’échelle du Pacifique, dont la Nouvelle-Calédonie est une zone pilote.
Vers une troisième phase d’action pour sauver l’espèce
La phase 1 du PAD (2010-2015) avait permis de structurer la gouvernance autour d’un consensus entre chercheurs, coutumiers, autorités et ONG. La phase 2 (2016-2024) s’est focalisée sur quatre priorités : lutter contre les menaces, suivre l’évolution de la population, acquérir des connaissances et mobiliser les citoyens.
Le bilan de cette seconde phase est en cours. En parallèle, la préparation de la phase 3, prévue début 2025, est lancée. Elle visera à intensifier les efforts de comptage, d’analyse génétique et d’éducation environnementale. L’un des axes majeurs sera de faire connaître le rôle écologique du dugong, notamment sa contribution à la santé des herbiers marins, essentiels à la lutte contre le changement climatique.
Alors que le temps presse, chaque signalement de dugong observé, chaque témoignage transmis à l’ANCB, chaque zone préservée peut faire la différence. La lutte pour sauver ce mammifère discret, paisible et ancestral symbolise l’équilibre fragile entre tradition, écologie et développement humain en Nouvelle-Calédonie.