L’IA séduit les lecteurs, mais inquiète les professionnels. Voici pourquoi le journalisme est à la croisée des chemins.
Les chatbots d’information s’imposent peu à peu dans les usages
C’est une petite révolution silencieuse : dans de nombreux pays, l’intelligence artificielle s’invite dans les habitudes d’information. Selon une enquête menée par le Reuters Institute en janvier-février 2025 auprès de plus de 2 000 adultes par pays, les chatbots générateurs d’actualités sont déjà utilisés chaque semaine par 18 % des Indiens, 10 % des Sud-Africains, 9 % des Indonésiens… mais seulement par 3 % des Britanniques.
Signe fort : jusqu’à 44 % des répondants en Inde déclarent être à l’aise avec des contenus générés par IA, contre seulement 11 % au Royaume-Uni. Le fossé est saisissant.
Cette tendance est particulièrement marquée chez les jeunes : 12 % des moins de 35 ans et 15 % des moins de 25 ans utilisent déjà un chatbot comme source d’actu principale.
La France, elle, se situe dans la moyenne basse avec seulement 16 % d’acceptation et 4 % d’usage régulier, traduisant une prudence typique des lecteurs hexagonaux.
Une méfiance croissante, malgré l’attrait de la technologie
Si les usages progressent, la confiance ne suit pas au même rythme. En Allemagne, par exemple, plus de la moitié des sondés (54 %) déclarent ne pas faire confiance à une information générée par IA, même sous supervision humaine. En France, cette réticence reste également élevée, expliquant en partie la faible pénétration de ces outils.
Pourquoi cette défiance ? Plusieurs raisons émergent :
Risque de désinformation ou de biais, encore mal contrôlé.
Perte de transparence sur les sources.
Absence d’éthique éditoriale clairement identifiée.
De nombreux citoyens redoutent que l’automatisation de l’information n’éloigne encore plus le journalisme de ses fondements : l’enquête, la vérification, l’incarnation.
Une révolution déjà bien engagée dans les rédactions
Côté professionnels, en revanche, l’IA est déjà omniprésente. Près de 80 % des journalistes du Global South s’en servent pour des tâches comme la relecture, la vérification des faits, la recherche documentaire ou la génération de brouillons. Dans les pays occidentaux, des IA sont utilisées pour rédiger des titres, des résumés, faire des traductions ou même alimenter des fils d’actualités en continu.
Mais attention : aucun rédacteur en chef sérieux ne laisse l’IA publier seule. Partout, la supervision humaine reste la règle. L’objectif n’est pas de remplacer, mais d’accélérer la production sans rogner la qualité.
Un enjeu de taille demeure : le modèle économique. Avec l’explosion des « zero-click info » (contenus lus sans visiter les sites), les médias perdent des revenus publicitaires cruciaux. Certains cherchent à nouer des accords (Reuters avec Meta), d’autres intentent des procès (comme le New York Times contre OpenAI) pour protéger leurs contenus.
Faut-il vraiment avoir peur des robots-journalistes ?
Non, mais il faut être lucide. L’IA ne remplacera pas le journaliste de terrain, ni l’analyse, ni l’enquête. Mais elle est en train de transformer l’écosystème à grande vitesse. Les rédactions devront s’adapter :
Par la formation de leurs équipes à ces outils.
Par l’éthique dans leur utilisation.
Par une négociation intelligente avec les géants de la tech pour éviter l’expropriation du contenu.
Et les lecteurs, eux, devront apprendre à distinguer une info fiable d’un contenu généré sans âme, en restant vigilants, informés… et humains.