L’Australie joue double jeu entre l’Asie du Sud-Est et le Pacifique. Entre partenariat modeste à Kuala Lumpur et posture de gendarme dans les îles, la diplomatie australienne avance masquée.
L’Asie du Sud-Est : un terrain diplomatique balisé
À Kuala Lumpur, Penny Wong a soigné les apparences. Lors du sommet des ministres des Affaires étrangères de l’ASEAN le 10 juillet 2025, la cheffe de la diplomatie australienne a réaffirmé la ligne officielle : « un monde où aucun pays ne domine, et où aucun pays n’est dominé ». Une phrase taillée pour plaire à une région attachée à la non-ingérence, au consensus mou et aux équilibres subtils entre puissances rivales.
Car en Asie du Sud-Est, l’Australie n’a ni la puissance militaire ni l’influence politique pour imposer sa volonté. Elle avance donc en douceur, en se présentant comme un « partenaire » attaché à la stabilité régionale, au libre-échange et à la coopération multilatérale.
Depuis son retour au ministère, Penny Wong a visité tous les pays membres de l’ASEAN, sauf la Birmanie, évitant les sujets qui fâchent pour mieux renforcer les liens bilatéraux. Une stratégie prudente, faite d’alignements souples et d’intérêts partagés, à mille lieues du ton plus direct qu’elle emploie dans le Pacifique.
Dans le Pacifique : Canberra impose sa marque
Dès que l’on quitte le détroit de Malacca pour voguer vers les îles du Pacifique, le ton change. L’Australie, puissance historique de la région, adopte une posture beaucoup plus affirmée. Elle multiplie les accords bilatéraux de sécurité — avec la Papouasie-Nouvelle-Guinée en 2024, avec Tuvalu dès 2023 —, surveille les intentions de la Chine et agit en gardienne auto-proclamée de l’ordre régional.
Canberra se rêve en rempart contre l’influence chinoise, en protecteur naturel d’un espace qu’elle considère comme sa zone de responsabilité. Cette volonté de contrôle s’appuie sur des décennies de coopération militaire, d’aide au développement et de relations asymétriques tissées depuis la décolonisation.
Mais ce leadership n’est pas homogène. Avec la Mélanésie, l’Australie avance prudemment. Les tensions historiques et les sensibilités politiques y freinent les élans de domination. En revanche, en Micronésie, les États-Unis gardent la main, et en Polynésie, c’est encore la Nouvelle-Zélande qui joue les tuteurs naturels.
Ce partage informel de zones d’influence, hérité des anciennes puissances coloniales, continue de structurer la diplomatie régionale. Il révèle à quel point les “partenariats” évoqués à Kuala Lumpur peuvent se transformer en tutelle, dès lors qu’on passe au sud de l’équateur.
Le vrai levier stratégique : un front Pacifique-ASEAN
Et si la clé pour desserrer l’étau des grandes puissances résidait dans une alliance renforcée entre les États du Pacifique et ceux d’Asie du Sud-Est ?
Sur le papier, tout les rapproche. Richesses maritimes, voies stratégiques, poids démographique, volonté de non-alignement, combats pour le climat… Les convergences sont nombreuses, et le potentiel de coopération Sud-Sud reste largement sous-exploité.
Certes, un accord symbolique a bien été signé entre l’ASEAN et le Forum des Îles du Pacifique en 2023, mais il reste sans effets concrets. En cause : le manque de moyens, mais surtout une vision encore trop dépendante des anciens mécènes — Australie, Nouvelle-Zélande… et Chine.
Cette dépendance entretient un déséquilibre structurel. Les États insulaires appellent à la souveraineté, mais continuent à s’en remettre à ceux-là mêmes qui encadrent leurs choix. La suspension de l’aide néo-zélandaise aux îles Cook, après leur rapprochement avec Pékin, l’a encore démontré récemment.
L’heure est donc venue de rompre avec cette logique verticale. Indonésie, Vietnam, Singapour… autant de partenaires potentiels pour bâtir une diplomatie de voisinage, moins paternaliste, plus horizontale. L’Australie peut en faire partie, mais elle ne doit pas en être le pivot unique.