Le Forum calédonien du climat promet beaucoup… mais agit-on vraiment ? Décryptage d’un rendez-vous aussi ambitieux que flou.
Le climat change, la Calédonie discute
La Nouvelle-Calédonie a tenu son deuxième Forum calédonien du changement climatique à l’université de Nouville. Une initiative portée par Jérémie Katidjo-Monnier, membre du gouvernement en charge de l’environnement. L’objectif affiché : présenter la stratégie calédonienne pour faire face à la crise climatique. En théorie, tout y est : adaptation, solutions fondées sur la nature, mobilisation de la jeunesse et des associations, sans oublier les chercheurs et les collectivités. En pratique, la question demeure : est-ce un tournant écologique ou un simple exercice de communication ?
Beaucoup de concepts, peu de concret ?
Le discours est bien rodé.
Nous avons désormais une feuille de route claire pour chaque acteur
annonce J. Katidjo-Monnier. Pourtant, sur le terrain, les urgences climatiques s’accumulent plus vite que les financements. Le gouvernement évoque 200 millions XPF en deux ans pour soutenir les associations environnementales. Mais ces mêmes structures alertent sur la chute des subventions, l’effondrement du bénévolat et le désengagement des pouvoirs publics. Comme le rappelle le membre du gouvernement :
Si on perd ces associations locales, on mettra des décennies à reconstruire ce tissu social.
Justement : ne sommes-nous pas déjà en train de le perdre ?
Même la fameuse « adaptation climatique » reste un mot-valise. Planter des arbres, certes. Mais quid de la gestion foncière, du recul stratégique des zones habitées ? Le forum promet d’« éviter les effets doublons ». Ironie : les Calédoniens voient surtout un doublon d’intentions et de réunions.
Une réalité environnementale calédonienne déniée
Pendant que l’on palabre en forum climato-compatible à Nouville, la vraie Calédonie suffoque. À Koné, à Koumac, à Wé ou à Lifou, aucune politique environnementale structurée n’existe. On continue d’implanter des usines en centre-ville, sans étude d’impact sérieuse ni concertation avec les riverains. Dans les tribus, les déchets s’entassent, brûlent ou sont enfouis à la va-vite, faute de filière fiable et de moyens adaptés. Les incendies récurrents libèrent d’énormes quantités de particules toxiques, dans un silence assourdissant des autorités. Quant aux usines de nickel, elles sont au bord du gouffre financier et n’ont plus ni les moyens ni la volonté de porter une politique environnementale cohérente.
Quand on ne sait même plus quoi faire d’un vieux frigo ou d’un bidon d’huile, vous imaginez le reste ?
résume un chef d’atelier d’un centre de tri. Les opérateurs locaux, eux, sont suspectés de connivence ou d’incompétence, rarement consultés, toujours stigmatisés. Résultat : la confiance est brisée, les circuits sont à l’arrêt et la pollution devient endémique.
Le climat, nouveau terrain d’union nationale… ou d’évitement politique ?
L’un des points intéressants du forum réside dans sa tentative de transcender les lignes de fracture politiques habituelles. Monsieur Katidjo-Monnier le dit lui-même :
Le cyclone ne regarde pas si l’on est indépendantiste ou non.
Pour une fois, le discours n’est pas idéologique, il est météorologique. Et il est vrai que face à l’érosion littorale, à l’élévation du niveau de la mer ou aux sécheresses à répétition, les querelles institutionnelles paraissent dérisoires.
Mais à vouloir rassembler tout le monde autour de causes consensuelles, ne risque-t-on pas d’édulcorer les décisions qui fâchent ? Qui osera interdire de construire en zone rouge ? Qui assumera la taxation carbone locale ? Qui imposera aux industriels une vraie transparence écologique ? Rien sur ces sujets dans ce forum. Et pourtant, c’est là que le combat se joue.
Ministre du climat ou de la communication ?
Derrière les grandes déclarations de Jérémie Katidjo-Monnier, c’est surtout une maîtrise approximative des faits et une communication bien huilée qui transparaît. À l’écouter, chaque sujet semble résolu, chaque difficulté anticipée. Mais à trop vouloir cocher les cases, il oublie la réalité du terrain. Combien d’arbres réellement plantés ? Combien de projets effectivement suivis jusqu’au bout ? Sur bien des dossiers, le ministre semble survoler plus qu’il ne pilote. L’adaptation climatique est devenue pour lui une formule magique, répétée à l’envi sans jamais en détailler les leviers techniques, juridiques ou économiques.
Katidjo-Monnier n’est pas un ministre de l’environnement, c’est un ministre de la communication. Pire : son positionnement repose sur une ambiguïté politique dérangeante. Issu d’une famille politique qui a trahi ses engagements, pactisé avec tous les pouvoirs et dont certains membres ont été condamnés par la justice, il incarne malgré lui cette classe politique en fin de souffle, qui parle d’avenir alors qu’elle n’a jamais su gérer le présent. Et s’il multiplie les forums et les discours, on attend encore les actes, les vrais.
Du bon sens, mais à quand le courage ?
Ce forum calédonien est-il inutile ? Non. Il est même nécessaire pour maintenir vivante une conscience écologique locale. Mais ce forum est-il suffisant ? Certainement pas. Sans arbitrages politiques forts, sans priorisation budgétaire claire, et sans obligation de résultats, tout cela ne restera qu’un théâtre d’ombres.
Ce que les Calédoniens attendent, ce n’est pas une stratégie votée au Congrès. C’est un impact visible. Moins de béton en bord de mer. Des aides pour changer ses cultures agricoles. Une anticipation des catastrophes naturelles.
Le climat change plus vite que les institutions. Et pour l’instant, la Calédonie pédale encore dans le sable.