Un retour politique controversé secoue le paysage calédonien. Jacques Lalié, condamné puis écarté, s’apprête à revenir par la grande porte.
Une réintégration rendue possible grâce à un vide juridique habilement exploité, sur fond d’indignation populaire.
Un retour autorisé malgré une double condamnation
L’annonce a surpris jusque dans les rangs de l’Union calédonienne : Jacques Lalié, ex-président de la province des Îles, va réintégrer le Congrès de la Nouvelle-Calédonie. Et ce, malgré une condamnation à deux ans d’inéligibilité prononcée en décembre 2024 pour favoritisme. Une affaire liée à un marché informatique controversé. Il avait été contraint de quitter ses mandats dans la foulée, remplacé par Reine Hué au Congrès et par Mathias Waneux à la tête de l’exécutif provincial.
Mais le recours en annulation introduit par Lalié devant le Conseil d’État a eu un effet inattendu. Car malgré l’exécution provisoire prononcée par la justice, le recours entraîne une suspension automatique de l’arrêté de démission d’office. Résultat : ni la condamnation, ni l’arrêté du haut-commissariat ne peuvent produire d’effets avant que la plus haute juridiction administrative ne statue définitivement.
Mais ce n’est pas tout. L’élu avait également été condamné, en février 2024, à quatre mois d’emprisonnement avec sursis, ainsi qu’à une suspension de permis de trois mois pour blessures involontaires aggravées par l’alcool. Lors des faits, son alcoolémie atteignait 0,30 mg par litre d’air expiré, bien au-dessus du seuil légal.
Un cumul de décisions judiciaires qui aurait pu signifier la fin d’une carrière politique.
Le cas de Philippe Michel et Philippe Gomès, eux aussi condamnés et maintenus en poste, a créé un précédent sur lequel Lalié s’appuie désormais. Le Congrès a confirmé que l’élu de Lifou retrouverait « prochainement » son siège.
Une mécanique légale qui heurte l’opinion
Sur le fond, tout est légal. Mais dans la forme, le retour de Jacques Lalié suscite une onde de choc. Pour de nombreux Calédoniens, cette décision juridique résonne comme une provocation, dans un pays frappé par les émeutes, le chômage de masse et une défiance croissante envers ses représentants. Alors que des milliers de citoyens ont perdu leur emploi après les violences de mai 2024, l’ancien président s’apprête à reprendre ses émoluments d’élu — qu’il pourrait même réclamer rétroactivement.
Plus grave encore : cette réintégration pourrait invalider l’élection du nouvel exécutif de la province des Îles. Un véritable tremblement de terre institutionnel, susceptible de précipiter un nouveau remaniement. En coulisses, certains élus de l’UC s’interrogent sur l’opportunité de reconduire Jacques Lalié à la tête de la province, après une gestion pour le moins controversée.
Car l’héritage laissé par l’homme fort des îles est lourd à porter. Le rapport de la Chambre territoriale des comptes de 2023 pointait déjà des dérives budgétaires inquiétantes, notamment des dépenses somptuaires en communication et infrastructures, alors que les finances provinciales étaient exsangues.
La dérive d’un pouvoir local en roue libre
En 2023, la CTC dressait un constat sévère : des investissements inconsidérés, 116 collaborateurs embauchés dans les cabinets politiques et un train de vie à contre-courant des réalités économiques. Au cœur de la critique : le fameux projet Wadra Bay, complexe hôtelier cinq étoiles à Lifou, jugé déconnecté des besoins de la population.
La situation avait empiré en 2024, alors même que Jacques Lalié commençait à perdre le soutien de sa majorité. Son départ forcé avait laissé place à une tentative de redressement budgétaire. Le nouvel exécutif, dirigé par Mathias Waneux, a présenté en mars un budget d’austérité, fruit d’un virage radical après les dérives de la mandature précédente.
Avec son retour, Lalié pourrait remettre en cause cet équilibre précaire. Un jeu de chaises musicales s’annonce, mêlant règlements de comptes internes et manœuvres politiques. Le spectre d’un retour de Lalié à la présidence de la province plane déjà, bien que l’Union calédonienne des Îles n’ait pas encore tranché.
Mais ce retour pourrait aussi réveiller les fractures. Dans un climat de défiance générale, la classe politique calédonienne continue de renvoyer l’image d’élus plus préoccupés par leurs fauteuils que par l’intérêt général. Pour beaucoup, la réintégration de Jacques Lalié symbolise une démocratie à deux vitesses, où l’exemplarité ne semble plus être la norme.
Le retour de Jacques Lalié, condamné mais réintégré, illustre la déconnexion croissante entre les institutions et la population. Juridiquement légitime, politiquement ravageur, ce come-back jette une ombre sur la crédibilité des élus calédoniens. Alors que le pays traverse une crise sociale et politique majeure, l’heure est peut-être venue de repenser les règles du jeu démocratique, pour restaurer la confiance.