Georges Lemoine pensait apaiser la Nouvelle-Calédonie. En 1984, son statut déclenche au contraire une crise majeure. Le territoire bascule dans l’instabilité.
Un homme de l’ombre devenu acteur d’Histoire
Fils de cheminot, Georges Lemoine n’était pas destiné à bouleverser la trajectoire de la Nouvelle-Calédonie. Mais ce socialiste discret, élu maire de Chartres en 1977, puis député en 1978, et proche de François Mitterrand, va jouer un rôle décisif. Nommé secrétaire d’État aux DOM-TOM en 1983, il veut apaiser les tensions grandissantes sur le Caillou.
C’est lui qui, en juillet 1983 à Nainville-les-Roches, convoque une table ronde entre les forces politiques calédoniennes. À l’issue de cette réunion, une déclaration sans précédent est rédigée. Elle reconnaît la fin du fait colonial, la légitimité du peuple kanak et la nécessité d’un statut d’autonomie spécifique.
Mais cette déclaration marque aussi une fracture brutale : le RPCR refuse de la signer. Le poison du désaccord est désormais dans les veines du territoire.
L’ancien ministre et ancien maire de Chartres, Georges Lemoine, est décédé dans la nuit de jeudi à vendredi, à l’âge de 91 ans. Son nom reste à jamais associé à une tentative de sortie de crise qui marquera l’histoire calédonienne.
Un statut trop audacieux pour certains, trop timide pour d’autres
En mai 1984, le Parlement adopte le statut Lemoine, une loi qui prévoyait une large autonomie pour la Nouvelle-Calédonie et l’organisation d’un référendum d’autodétermination en 1989. Sur le papier, tout y est : réforme institutionnelle, reconnaissance des Kanak, horizon d’autodétermination.
Mais sur le terrain, c’est l’impasse. L’assemblée territoriale rejette le texte. Pour les indépendantistes du FLNKS, ce statut ne garantit pas une expression juste du peuple kanak : le corps électoral n’est pas défini de manière équitable, estiment-ils. Le RPCR, de son côté, craint une dérive vers l’indépendance.
Tout le monde est mécontent. L’équilibre fragile que Lemoine tentait de construire explose en vol. Le 18 novembre 1984, le FLNKS décide de boycotter les élections territoriales. Un acte fort, une rupture totale avec le système.
18 novembre 1984 : naissance des Événements
Ce boycott marque un point de non-retour. L’histoire retiendra cette date comme le début des Événements — une décennie de tensions, de violences, de morts, mais aussi le point de départ du processus politique encore en cours aujourd’hui.
Pour les indépendantistes, le statut Lemoine était une énième manœuvre dilatoire, un mirage d’émancipation sans substance. Ils voulaient l’indépendance, pas un statut transitoire. La dégradation de la situation politique et sociale des Kanak depuis la loi-cadre de 1957 avait déjà nourri une colère sourde. Ce boycott fut un cri de rupture, une claque à la République.
Dès lors, la Nouvelle-Calédonie entre dans une autre ère. Celle de la lutte ouverte, du face-à-face tendu entre deux visions du territoire. Lemoine, dépassé, quittera la vie politique sur une note amère, battu aux élections cantonales de 2011, sous l’étiquette du Parti ouvrier indépendant.
Georges Lemoine n’a pas écrit l’histoire qu’il voulait. Mais en voulant offrir une solution, il a révélé la profondeur des fractures. Le statut Lemoine, rejeté par tous, a paradoxalement mis en lumière les lignes de faille du territoire. Et permis, à travers la crise qu’il a engendrée, d’ouvrir le chemin vers les accords de Matignon, de Nouméa et, demain peut-être, celui de Bougival.