À Gatope, l’Union calédonienne sonne l’alerte : l’accord de Bougival serait un piège constitutionnel. Le front indépendantiste vacille sous les divisions internes.
Un accord sous tutelle française rejeté en bloc
Réunie le 26 juillet à Gatope (Voh), l’Union calédonienne (UC) a acté, devant plus de 300 participants, le rejet total de l’accord dit de Bougival. Ce projet, présenté comme un compromis institutionnel, est perçu par l’UC comme une tentative d’intégration à la France sous couvert de « décolonisation ».
Selon le communiqué officiel, diffusé lors d’une conférence de presse qui s’est tenue ce jeudi 31 juillet au QG de l’UC, ce texte renie deux piliers fondamentaux du combat indépendantiste :
- la reconnaissance du peuple kanak dans la Constitution française ;
- le droit propre à une décolonisation externe, conforme au droit international.
Le vocabulaire utilisé dans le texte inquiète. Il n’est plus question que d’une simple « identité kanak » fondue dans un « peuple calédonien », en contradiction directe avec les termes de l’Accord de Nouméa et les résolutions de l’ONU. La trajectoire vers la pleine souveraineté est verrouillée, encadrée par des mécanismes complexes qui donnent la main… aux non-indépendantistes.
L’UC dénonce également l’ouverture du corps électoral provincial, qui permettrait à des dizaines de milliers de nouveaux électeurs issus de l’immigration de peser sur les décisions institutionnelles dès 2026. Pour les indépendantistes historiques, la souveraineté ne se négocie pas à la majorité numérique.
Une fracture profonde au sein du FLNKS
Mais le rejet ne vient pas seulement de l’Union calédonienne. La DUS (Dynamique Unitaire Sud), micro-parti indépendantiste radical, rejette elle aussi en bloc l’accord de Bougival. Ce refus collectif s’oppose frontalement à la signature du texte par des représentants du FLNKS… placés sous la houlette de Christian Tein, président du Front.
Le revirement est saisissant. Car dans un premier temps, la délégation calédonienne saluait à Paris le travail de concertation mené avec l’État. Mais de retour à Nouméa, les responsables changent radicalement de ton : ce qui était présenté comme un progrès est désormais dénoncé comme un « leurre institutionnel ».
Depuis la Corse, Christian Tein lui-même renie le texte. Une volte-face spectaculaire qui illustre la confusion au sommet du FLNKS. Derrière cette dissonance, c’est la cohésion même du mouvement indépendantiste qui vacille. D’un côté, les réformistes (PALIKA, UPM, RDO) se disent satisfaits d’un compromis réaliste. De l’autre, les ultras de l’UC, de la DUS et de la CCAT promettent de remettre la pression dans la rue, quitte à raviver les tensions du printemps 2024.
Le FLNKS au bord de l’éclatement, l’État relance la machine
Face à ce rejet formel, le mandat des signataires de Bougival tombe de fait, selon l’UC. Le Comité directeur de Gatope appelle désormais à consolider la proposition d’accord de Kanaky, présentée le 30 mai, en y associant des experts en droit international et en droit à l’autodétermination. Le nouveau cap est clair : s’en tenir à l’Accord de Nouméa comme socle juridique, et maintenir la mobilisation sur tous les fronts, du terrain tribal aux instances internationales.
Le Bureau politique du FLNKS a d’ores et déjà convoqué un congrès extraordinaire pour le 9 août 2025. Cette réunion pourrait redéfinir les équilibres internes du Front, voire acter une scission irréversible entre modérés et radicaux.
Pendant ce temps, l’État ne relâche pas la pression. Le ministre des Outre-mer a annoncé la tenue, courant août, d’un comité de rédaction destiné à finaliser juridiquement le contenu du futur accord. Une décision perçue comme une provocation de plus par les indépendantistes contestataires, qui dénoncent un passage en force alors que la base militante se désolidarise.
L’UC appelle à respecter les résolutions de l’ONU, notamment :
celles concernant le droit des peuples autochtones et la fin des processus de colonisation.
Elle réclame aussi l’application des recommandations du Comité contre la torture et de l’Observatoire international des prisons, comme autant de signaux d’alerte sur la situation du territoire.
L’accord de Bougival, censé sceller une sortie de crise, n’a fait qu’approfondir les fractures. L’Union calédonienne, la DUS et une base militante en colère dénoncent un texte de dupes, signé dans leur dos. À la veille du congrès du FLNKS, le camp indépendantiste vacille, l’État accélère… et la rue pourrait, une fois de plus, devenir l’arbitre du destin calédonien.