Ils étaient plus de 200 à embarquer pour faire rayonner la France aux confins du monde. Trois ans plus tard, ils disparaissaient sans laisser de trace. Deux siècles après, le mystère Lapérouse continue d’obséder chercheurs, historiens… et Calédoniens.
Une expédition de prestige envoyée au bout du monde
En 1785, la France de Louis XVI rêve de gloire maritime et scientifique. Après les exploits du Britannique James Cook, il faut un nom, un visage, une épopée. Ce sera Jean-François de Galaup, comte de Lapérouse : marin chevronné, loyal serviteur de la couronne et fin stratège.
L’objectif est clair : faire le tour du monde, cartographier les terres encore inconnues, collecter des données scientifiques et asseoir la puissance française dans le Pacifique. Deux frégates sont affrétées : La Boussole et L’Astrolabe. À leur bord, une véritable élite de la marine et du savoir : botanistes, horlogers, dessinateurs, chirurgiens… Jamais pareille concentration de talents n’avait pris la mer.
Pendant trois ans, l’expédition enchaîne les escales prestigieuses : Chili, Alaska, Californie, Japon, Philippines… et même un détour diplomatique par la Russie. La machine tourne à plein régime. L’Europe reçoit des lettres enthousiastes, des cartes, des relevés précis. Jusqu’à cette dernière étape en Australie, en mars 1788, où Lapérouse écrit une ultime lettre à la France… avant de disparaître à jamais.
Vanikoro, Nouvelle-Calédonie : les indices refont surface
Le silence est total pendant quarante ans. Pas un mot, pas un survivant, pas une épave. Louis XVI, à la veille de monter à l’échafaud, aurait demandé :
A-t-on des nouvelles de Lapérouse ? La légende est en marche.
En 1826, le mystère commence à se fissurer. L’explorateur anglais Peter Dillon découvre, sur une île isolée des Salomon appelée Vanikoro, des objets européens, des débris de navire, des témoignages oraux. Tout concorde : les deux navires se sont bien échoués là. L’Astrolabe aurait sombré la première. La Boussole aurait tenu quelques jours de plus avant d’être engloutie. Certains hommes auraient survécu plusieurs mois sur l’île. Une poignée aurait tenté de fuir à bord d’un radeau.
La Nouvelle-Calédonie n’est pas loin. L’archipel devient vite un point stratégique pour les archéologues français. Dans les années 2000, des missions scientifiques, menées avec l’appui de Calédoniens passionnés, révèlent des trésors engloutis : canons, instruments de mesure, boutons d’uniforme… Le puzzle se reconstitue lentement, mais avec émotion.
En parallèle, les populations mélanésiennes de Vanikoro transmettent leurs propres récits. Depuis des générations, ils parlent de ces « hommes blancs naufragés », intégrés un temps à leurs communautés. Le mythe rejoint l’histoire, et l’histoire devient patrimoine.
Héritage vivant et fascination française
Aujourd’hui, l’expédition Lapérouse dépasse le simple naufrage. Elle incarne le génie français, la soif de découverte… mais aussi les limites de l’orgueil impérial. On célèbre ses ambitions, on pleure sa fin tragique.
En Nouvelle-Calédonie, plusieurs initiatives éducatives et culturelles entretiennent ce souvenir : expositions à Nouméa, conférences à Lifou, documentaires diffusés dans les établissements scolaires. Des enseignants, des chercheurs locaux et des associations maritimes se mobilisent pour faire vivre cet héritage.
En 2025, un nouveau programme de coopération entre le musée maritime de Nouméa et les Archives nationales d’outre-mer prévoit la numérisation complète des journaux de bord et des dessins scientifiques de l’expédition. Objectif : les rendre accessibles à tous, des tribus kanak jusqu’aux lycées de Paris.
Ce n’est pas qu’une histoire de France , affirment plusieurs historiens du Pacifique.
C’est une histoire partagée. Car si Lapérouse portait le drapeau tricolore, c’est bien dans les eaux calédoniennes et salomonaises que son aventure a pris fin — et que son souvenir renaît aujourd’hui.
Le mystère Lapérouse n’a peut-être pas livré tous ses secrets. Mais il nous rappelle une chose essentielle : les plus grandes épopées naissent parfois des tragédies les plus profondes. Et dans l’immensité du Pacifique, il reste toujours un courant, une île, une mémoire pour faire ressurgir l’histoire.