Face à l’explosion des prix dans les territoires ultramarins, l’État lance une contre-offensive sans précédent. Un projet de loi complet entend casser les pratiques abusives, renforcer la transparence et soutenir l’économie locale.
Un constat accablant : des écarts de prix devenus insoutenables
En matière de vie chère, les territoires ultramarins paient le prix fort. D’après l’INSEE, les prix à la consommation y dépassaient, en 2022, ceux de l’Hexagone de 9 % à La Réunion, 14 % en Martinique et jusqu’à 16 % en Guadeloupe. Ces écarts atteignent des sommets sur les produits alimentaires de base, avec un +42 % en Guadeloupe et +30 % à Mayotte. Loin de se réduire, les différentiels s’aggravent chaque année, frappant d’abord les foyers les plus modestes.
Les instruments actuels, tels que le bouclier qualité-prix (BQP) ou les observatoires des prix (OPMR), ont montré leurs limites. Ils reposent sur des accords volontaires, rarement contraignants et difficilement sanctionnables. Dans plusieurs territoires, les grandes enseignes contournent ou ignorent purement et simplement les dispositifs, alimentant la défiance et l’exaspération des consommateurs.
C’est dans ce contexte tendu que le ministre d’État, ministre des Outre-mer, a présenté un plan législatif offensif, validé par le Comité interministériel des outre-mer du 10 juillet 2025.
Un arsenal législatif structurant pour casser les abus commerciaux
Au cœur du texte présenté : 16 articles répartis en 4 titres, articulés autour d’un principe simple mais ferme : rétablir une concurrence loyale au service du pouvoir d’achat.
Premier objectif : faire baisser les prix. Le gouvernement modifie le seuil de revente à perte, en excluant les frais de transport de son calcul, afin de permettre des baisses immédiates dans les rayons. Le BQP est renforcé, étendu aux services (téléphonie, entretien automobile, etc.) et assorti de sanctions financières pour les signataires qui ne respectent pas leurs engagements.
Une expérimentation de plateforme logistique publique est lancée en Martinique pour faciliter le e-commerce. En parallèle, l’État se dote d’un levier pour compenser les frais d’acheminement sur les produits de première nécessité, via un mécanisme de péréquation logistique.
Deuxième axe : la transparence. Le texte oblige les grands distributeurs à transmettre leurs données de caisse, leurs volumes de vente, et à détailler les marges arrière (ristournes, remises…). Toute discrimination injustifiée dans les conditions générales de vente (CGV) pour les produits vendus outre-mer est prohibée. Les sanctions pour non-dépôt des comptes annuels sont également durcies, avec une procédure d’injonction accélérée.
Ces mesures visent à briser les pratiques opaques qui alimentent les prix excessifs, et à rendre les contrôles plus efficaces pour l’administration.
Une politique économique recentrée sur la concurrence et les PME locales
Au-delà des mesures d’urgence, le projet de loi entend rééquilibrer structurellement l’économie ultramarine. L’Autorité de la concurrence est dotée de moyens nouveaux : deux membres supplémentaires experts des réalités locales, un service d’instruction dédié, et un seuil de contrôle abaissé à 3 millions d’euros pour les concentrations dans la distribution.
Ces outils permettront de mieux encadrer les monopoles de fait dans certains territoires, en particulier dans la grande distribution, tout en protégeant les équilibres locaux fragiles.
La production locale est elle aussi renforcée. Le texte étend à de nouveaux cas la possibilité d’exiger des accords de commercialisation pour éviter une concurrence déloyale sur des produits alimentaires importés à prix cassés. Quant aux PME ultramarines, elles bénéficieront d’un accès réservé à certains marchés publics pendant cinq ans, dans le cadre d’une expérimentation ciblée.
Ce soutien direct à l’économie de proximité s’inscrit dans une volonté claire : relocaliser une partie de la valeur ajoutée et faire émerger des alternatives aux circuits dominés par les groupes hexagonaux.
Des réticences du Conseil d’État, mais une volonté politique assumée
Le Conseil d’État, dans son avis du 23 juillet, a émis des réserves sur plusieurs dispositifs du texte : la plateforme e-commerce en Martinique, les prérogatives élargies des OPMR, ou encore les mesures d’accès prioritaire aux marchés publics pour les PME. L’institution a même recommandé leur suppression.
Mais le gouvernement a choisi de maintenir l’essentiel des mesures, considérant qu’il est temps d’agir concrètement, même si cela dérange certains équilibres juridiques. L’exécutif assume une ligne volontariste, préférant des actions concrètes aux déclarations d’intention.
Ce projet de loi constitue le bras législatif d’un changement de méthode : plus de laxisme face aux abus, plus de fatalisme économique, mais un cap clair : défendre le pouvoir d’achat des Français d’outre-mer, sans céder ni au relativisme ni à la victimisation politique. Une démarche républicaine, loyaliste, fondée sur le droit commun… mais appliqué avec exigence.