Le kava, boisson traditionnelle du Pacifique, est au cœur d’une crise multiforme.
Entre pression fiscale, dérives sécuritaires et inquiétudes sanitaires, la filière s’effondre sous le poids des contradictions.
TGC à 22 % : fiscalité asphyxiante pour les bars à kava
La taxe générale à la consommation (TGC) est passée de 3 % à 22 % sur le kava liquide, provoquant une onde de choc. Pour les 150 nakamals de Nouvelle-Calédonie, cette hausse est synonyme de survie compromise. Si la pétition de 2020 pour un retour à 3 % a eu peu d’écho, c’est parce que l’économie grise des nakamals sauvages prospère. Aucun impôt, aucun contrôle, et une concurrence déloyale qui mine les établissements déclarés.
Avec une importation annuelle de 190 tonnes de kava, un kilo oscillant entre 4 000 et 5 000 Fcfp et plus de 200 établissements actifs, le marché pèserait plus de 800 millions de francs par an. Et pourtant, les exploitants ne bénéficient pas des aides bancaires classiques : refus systématique des prêts, non-éligibilité au PGE, perspectives bouchées.
Insécurité, violence, fermeture administrative : les nakamals dans le viseur
La fermeture de deux mois du « Nakamal Le City », près du CinéCity, décidée par le haut-commissariat de la République, marque un tournant. Rixes, agressions, vols violents… Les forces de l’ordre y intervenaient régulièrement. Malgré une mise en demeure, aucune mesure n’a été prise pour restaurer la tranquillité. L’État sévit. Cette décision symbolise la défiance croissante envers ces établissements devenus, parfois, des foyers de désordre.
Une réalité confirmée par les enquêtes de terrain : 13 % des 10–18 ans ont déjà consommé du kava, dont 5 % dans le mois. Pire, 92 % des consommateurs y vont chaque semaine, avalant plus de 400 ml. Un constat alarmant, renforcé par l’usage du kava lors de commissions d’infractions, dans des lieux parfois mêlés à la vente d’alcool ou de cannabis.
Santé publique et vide juridique : le gouvernement doit trancher
Malgré un projet de délibération déposé en 2012, aucune réglementation contraignante sur les nakamals n’a vu le jour. Et pourtant, les risques pour la santé sont connus : le kava peut entraîner des troubles hépatiques, neurologiques ou psychiatriques. L’Organisation mondiale de la santé elle-même reconnaît ses effets relaxants, mais aussi ses dangers en cas d’usage prolongé ou combiné à l’alcool.
Le texte de 2012, porté par le gouvernement Martin, prévoyait une licence d’exploitation obligatoire, une interdiction de vente aux mineurs, des horaires limités (17 h à 23 h) et une interdiction de consommation d’alcool et de cannabis dans les nakamals. Mais, faute d’adoption par la commission santé du Congrès, rien n’a été mis en œuvre.
Alors que les horaires d’ouverture s’élargissent (parfois dès le matin) et que le goût amer du kava masque mal ses effets puissants, les plaintes se multiplient : riverains, associations environnementales, acteurs de santé. Même le bromure de méthyle, utilisé pour la fumigation du kava importé, inquiète l’EPLP depuis plus d’une décennie.
Filière économique vitale, mais zone grise réglementaire, le kava cristallise les tensions calédoniennes : fiscalité, insécurité, santé publique. Les autorités doivent sortir de l’ambiguïté, trancher entre libéralisation sauvage et encadrement responsable. Le dialogue est engagé, mais la survie des nakamals passe désormais par une régulation claire, ferme, équitable. Le statu quo est intenable.