Dès la rentrée, les ministères doivent abandonner les applications étrangères.
Tchap devient la messagerie officielle, dans un contexte de menaces numériques croissantes.
Tchap, la nouvelle messagerie sécurisée imposée aux agents de l’État
Le 25 juillet, François Bayrou a signé une circulaire engageant toutes les administrations à basculer vers Tchap, une messagerie chiffrée et souveraine, conçue dès 2018 par la Direction interministérielle du numérique (DINUM) et validée par l’ANSSI, l’organe de cybersécurité de l’État. Le texte, vise à généraliser cette plateforme à partir du 1er septembre 2025, en ciblant prioritairement les cabinets ministériels et les administrations centrales. Accessible sur ordinateur, smartphone et tablette, Tchap fonctionne comme ses concurrents — conversations privées, groupes, annuaire — mais avec une différence majeure : elle est réservée aux adresses institutionnelles (gouv.fr, elysee.fr…) et hébergée en France, via le cloud du ministère de l’Intérieur.
Selon la note de Matignon, environ 300 000 agents l’utilisent déjà, un chiffre modeste face aux 5,7 millions de fonctionnaires français. L’objectif affiché est clair : réduire l’exposition aux cyberattaques et centraliser les échanges sensibles sur un outil contrôlé par l’État. La messagerie française Olvid, recommandée en 2023 sous Élisabeth Borne, reste tolérée, mais Tchap est désormais la norme exigée pour tout échange au sein de l’État.
Pourquoi l’État bannit Telegram, WhatsApp et Signal
Le contexte international a accéléré cette bascule stratégique. Depuis l’adoption du Cloud Act américain en 2018, les entreprises des États-Unis peuvent être contraintes de transmettre leurs données, même si elles sont stockées à l’étranger. Une disposition qui remet en cause la sécurité juridique de toutes les messageries d’origine américaine — y compris WhatsApp, Signal ou Messenger.
Quant à Telegram, très utilisée dans la sphère politique française, elle est désormais en disgrâce. L’interpellation en France de son fondateur, Pavel Durov, en 2024, accusé de laisser prospérer des réseaux criminels (trafics, exploitation sexuelle…) tout en refusant de coopérer avec les autorités, a précipité son bannissement progressif. Dans sa circulaire, François Bayrou rappelle que les messageries « commerciales » sont soumises à l’influence d’États étrangers, pouvant compromettre la confidentialité des discussions internes. Le risque est désormais jugé intolérable.
L’État veut ainsi rompre avec la dépendance aux grandes plateformes étrangères, même celles qui se disent sécurisées. Tchap devient un instrument de souveraineté numérique, au même titre que les clouds d’État ou les outils bureautiques développés en interne.
Une souveraineté numérique encore à construire
Si la circulaire impose un calendrier, le chantier s’annonce colossal. Moins de 10 % des agents publics utilisent aujourd’hui Tchap, malgré sa disponibilité depuis 2019. Le gouvernement doit donc changer des habitudes ancrées depuis des années, dans un univers professionnel où WhatsApp, Telegram ou Signal sont devenus des outils réflexes.
La priorité est mise sur les ministres et leurs équipes, sommés de montrer l’exemple. Ces derniers devront sensibiliser leurs collaborateurs et former les agents à l’usage de cette plateforme. Car si l’interface de Tchap est volontairement familière, son accès est restreint, et son fonctionnement parfois perçu comme contraignant. Un changement culturel profond est donc attendu dans l’appareil d’État, à rebours de la logique de facilité qu’offraient les messageries commerciales.
Le gouvernement entend aussi renforcer la résilience globale des services publics. Chaque faille de sécurité exploitée par une puissance étrangère ou un acteur malveillant peut coûter des millions d’euros, voire compromettre des décisions politiques sensibles. D’où l’importance, pour Matignon, de ne pas laisser la transition au bon vouloir des agents. Tchap devient un outil stratégique, au même titre que la cybersécurité militaire ou le renseignement. Son déploiement généralisé marque une étape décisive dans la reconquête de la souveraineté numérique française. Reste à savoir si les institutions néo-calédoniennes vont emboîter le pas, alors que de nombreux organismes locaux ont été la cible de tentatives de cyberattaques ces dernières semaines.