L’ascenseur social fonctionne encore, mais pas pour tout le monde. En 2025, l’Insee révèle un clivage net : les salariés montent, les indépendants décrochent. Une fracture sociale que met en lumière la nouvelle grille des classes d’emploi.
Les salariés montent, les indépendants ralentissent
Première vérité statistique : les salariés ont davantage de chances de vivre une ascension sociale que les indépendants. En 2023-2024, 53 % des salariés sont en mobilité ascendante par rapport à leur mère, contre 42 % des indépendants. Cette tendance se vérifie aussi par rapport au père : 38 % des salariés montent d’un cran, contre seulement 29 % des indépendants.
Autrement dit, le salariat reste un levier puissant d’ascension sociale. Les salariés en mobilité ascendante sont souvent diplômés du supérieur, en poste dans des professions cadres, techniques ou intermédiaires. Chez les femmes, cette dynamique est particulièrement forte : 48 % montent socialement par rapport à leur mère, contre 39 % des hommes vis-à-vis de leur père.
Les classes d’emploi permettent aussi de comprendre que cette progression s’accompagne souvent d’un changement de statut professionnel : une personne sur quatre n’exerce pas le même type de statut que son père ou sa mère. Dans le sens « indépendant → salarié », la transition est souvent positive : un fils d’artisan ou de commerçant a plus de chances de devenir cadre ou ingénieur salarié.
Le piège de l’indépendance : micro-entrepreneurs à risque
Mais pour les indépendants, l’histoire est plus amère : ils ont 40 % de chances en moins d’être en ascension sociale, toutes choses égales par ailleurs. Et pour certains, c’est pire : les micro-entrepreneurs sont particulièrement touchés par la mobilité descendante.
Près de 44 % des micro-entrepreneurs sont aujourd’hui en situation de déclassement social par rapport à leur père, contre 26 % seulement pour les indépendants exerçant dans une société. Autrement dit, être à son compte n’est plus synonyme de réussite. Artisan, commerçant isolé ou prestataire de service ? Le risque est élevé de travailler plus… pour valoir moins.
Ce constat est d’autant plus frappant que les micro-entrepreneurs sont souvent qualifiés. Pourtant, même dans les classes d’emploi dites « supérieures », la précarité structurelle de leur statut freine la progression sociale. L’écart se creuse : un salarié diplômé du supérieur a six fois plus de chances de progresser qu’un micro-entrepreneur au même niveau de diplôme.
Diplômes, genre, origine : des inégalités persistantes
La mobilité intergénérationnelle ne dépend pas que du statut. Elle est aussi marquée par le niveau de diplôme, le genre et l’origine migratoire. Par exemple, les hommes ont 1,7 fois plus de chances que les femmes d’être en mobilité ascendante. Les diplômés du supérieur long (bac+3 ou plus), toutes choses égales par ailleurs, bénéficient d’un véritable effet tremplin : ils accèdent nettement plus souvent à un emploi de niveau supérieur que leurs parents, indépendants ou salariés.
À l’inverse, les femmes en situation de déclassement sont nombreuses à se retrouver dans des métiers peu qualifiés : services aux particuliers, aide à domicile, vente. Quand leur mère était indépendante, elles sont 33 % à exercer un emploi peu qualifié, contre 21 % pour celles dont la mère était salariée. La double peine du déclassement et du genre.
Enfin, les enfants d’immigrés ont plus de chances d’être en mobilité sociale ascendante que les natifs, tandis que les immigrés eux-mêmes subissent deux fois plus souvent une stagnation ou une régression.
L’étude de l’Insee montre que la mobilité sociale reste une réalité, mais qu’elle se distribue de manière inégalitaire. Le salariat, malgré ses contraintes, continue d’être un moteur de promotion sociale. À l’inverse, l’indépendance professionnelle, souvent valorisée dans le discours public, cache une réalité bien plus nuancée : précarité, déclassement, instabilité.
Le rêve entrepreneurial a ses revers. Et dans une économie où les micro-entreprises se multiplient, souvent par défaut plus que par choix, le risque de stagnation sociale est réel. L’heure est peut-être venue de repenser les filets de sécurité, les aides à la formation et les protections sociales des travailleurs indépendants, notamment pour éviter que l’indépendance ne devienne un piège plutôt qu’un choix.