Une compagnie sous perfusion – un avenir incertain. Air Tahiti Nui se heurte à une dure réalité : seule une ligne tient debout.
Un constat implacable : Los Angeles ou rien
Le rapport Arthur D. Little, dévoilé au conseil d’administration d’Air Tahiti Nui le 7 juillet, dresse un bilan sans appel : la seule route rentable est Papeete–Los Angeles. Avec un excédent brut de 1,1 milliard F CFP, cette liaison concentre à elle seule la survie économique de la compagnie.
Tout le reste n’est que déficit : Paris (-212 millions), Auckland (-274 millions), Tokyo (-875 millions). Et surtout Seattle : un gouffre abyssal avec 1,68 milliard de pertes en 2024. En clair, 86 % du déficit de l’année provient d’une seule ligne déficitaire.
Les consultants rappellent que le problème n’est pas seulement tarifaire : l’immobilisation des équipages, le remplissage insuffisant et des choix stratégiques mal calibrés font plonger la compagnie. Le constat est clair : ATN ne peut plus disperser ses moyens sur des routes déficitaires.
Repenser les destinations : priorité États-Unis, Australie, Nouvelle-Zélande
Face à ce désastre financier – 22 milliards de F CFP de déficit cumulé, dont 2,8 milliards en 2024 –, Arthur D. Little trace une feuille de route sans détour. La priorité est d’ancrer la desserte sur les marchés solides.
Les États-Unis, déjà première source de visiteurs, doivent rester l’axe majeur, avec Los Angeles comme hub central. À court terme, la fermeture de Seattle et de Tokyo est préconisée. Le Japon, la Corée ou la Chine seraient desservis via Honolulu, beaucoup plus rentable. San Francisco doit devenir la porte d’entrée complémentaire, malgré la concurrence de United et de French Bee.
Deuxième objectif : l’Océanie. L’étude insiste sur l’urgence d’ouvrir une liaison directe vers Sydney, tout en optimisant Auckland. L’Australie, largement dominée par les Fidji, recèle un potentiel important, même si elle ne représente encore que 8 000 visiteurs par an. Quant à l’Asie, le rapport est sans illusion : marché saturé, coûts exorbitants, faible rentabilité. Bref, priorité à l’Amérique et à l’Océanie, le reste attendra.
Tourisme et flotte : le nerf de la guerre
Le rapport n’élude pas l’évidence : Air Tahiti Nui ne pourra pas s’en sortir sans un accompagnement massif de l’État et du Pays. Moetai Brotherson lui-même l’a reconnu en mai dernier à Paris :
il faudra investir pour retrouver le chemin de la rentabilité. Traduction : les contribuables continueront à subventionner la compagnie.
Mais subventionner ne suffit pas. Encore faut-il que l’offre touristique suive. Pour atteindre l’objectif de 650 000 visiteurs en 2050, la Polynésie devra doubler sa capacité hôtelière, soit plus de 8 600 chambres nouvelles – l’équivalent d’un grand hôtel ou d’un paquebot basé à Tahiti, ouvert tous les 8 mois pendant 20 ans. Sans cette condition, l’ouverture de nouvelles routes serait une folie.
Enfin, la question de la flotte est cruciale. ATN devra choisir entre conserver ses 4 Boeing Dreamliner, ou investir dans 6 Airbus (A330-900 et A321XLR). Ce choix n’est pas technique mais politique : quelle Polynésie veut-on bâtir ? Une Polynésie tournée vers la France et l’Occident, ou une Polynésie isolée, prisonnière de ses déficits ?
Le rapport Arthur D. Little agit comme un électrochoc. Soit Air Tahiti Nui recentre son activité sur les lignes stratégiques et assume des choix douloureux, soit elle continue à s’égarer et à engloutir des milliards publics. La vérité est là : seule la route vers Los Angeles tient encore la compagnie debout.
Au-delà de la compagnie, c’est la politique touristique et aérienne du Fenua qui est en jeu. La Polynésie ne peut pas se contenter de slogans d’attractivité : elle doit bâtir des hôtels, diversifier son offre et cesser de rêver à des liaisons impossibles.
Il y a une alternative : la rigueur et le réalisme. Mais si le Pays refuse cette lucidité, Air Tahiti Nui ne sera plus qu’un gouffre financier et un symbole de dépendance.