La scène a fait l’effet d’une déflagration politique et médiatique. Filmés à leur insu autour d’une table avec deux cadres du Parti socialiste, Pierre Jouvet et Luc Broussy, Thomas Legrand et Patrick Cohen ont déclenché une tempête qui dépasse largement leur cas personnel. Car derrière l’image, une question revient avec force : que reste-t-il de la neutralité revendiquée par l’audiovisuel public, et en particulier par France Télévisions, quand la frontière entre journalisme et stratégie de parti se brouille ainsi ?
Une phrase qui fissure la neutralité revendiquée
Au cœur de la polémique, une déclaration limpide de Thomas Legrand, prononcée dans ce restaurant parisien : « Nous, on fait ce qu’il faut pour Dati, Patrick (Cohen) et moi. » La formule, qui vise Rachida Dati, a immédiatement été lue comme l’aveu d’un parti pris. Elle a entraîné une suspension conservatoire de l’antenne pour Thomas Legrand et ravivé une suspicion ancienne : quand l’audiovisuel public s’érige en gardien de l’impartialité, parle-t-il vraiment depuis un point d’équilibre, ou depuis un camp ?
France Télévisions dans la bourrasque
Si l’épisode concerne d’abord Radio France, il rejaillit aussitôt sur France Télévisions, colonne vertébrale du service public. La promesse d’« indépendance et d’impartialité » n’est pas un slogan : c’est une obligation. Or la séquence ouvre un procès en crédibilité. L’Arcom a indiqué se saisir du dossier pour « s’assurer du respect […] des obligations d’impartialité et d’indépendance ». Sur le terrain politique, à droite comme à l’extrême droite, le procès en « deux poids, deux mesures » se nourrit de ces angles morts : sévère avec les uns, indulgent avec les autres, le service public serait devenu, aux yeux de nombreux Français, un bastion idéologique plutôt qu’un arbitre.
Le RN relance l’option privatisation
C’est dans ce contexte qu’une pétition du Rassemblement national prend de l’ampleur : « Pour la privatisation de l’audiovisuel public ». L’argumentaire est clair : si l’impartialité n’est plus crédible, il faut couper le cordon budgétaire, renvoyer France Télévisions aux règles du marché et replacer le téléspectateur au centre — non plus comme contribuable captif, mais comme client souverain. Fin de la rente publique, début de la responsabilité éditoriale face au public.
En Nouvelle-Calédonie, le précédent NC la 1ère
Le débat résonne tout particulièrement en Nouvelle-Calédonie. NC la 1ère, chaîne du groupe France Télévisions, a été accusée l’an dernier, au plus fort des émeutes de 2024, de servir de relais aux thèses indépendantistes et de « mettre de l’huile sur le feu » par des reportages perçus comme unilatéralement favorables au récit du FLNKS. Plusieurs responsables locaux, élus et collectifs ont alors reproché à la chaîne de raviver le passé plutôt que d’éclairer le présent, nourrissant le sentiment, chez une partie des Calédoniens, d’un service public qui prend parti. Ce « précédent calédonien » rappelle une évidence : ce qui se joue à Paris n’est pas théorique à Nouméa. Les mêmes exigences d’impartialité s’appliquent, les mêmes dérives produisent les mêmes fractures, et les mêmes questions reviennent, jusqu’où financer, par l’impôt, un média public quand une partie du public n’y voit plus son reflet ?
La note qui lève le voile sur la facture NC la 1ère
Dans le cadre des travaux sur un éventuel transfert local de la compétence « communication audiovisuelle », une note du ministère de la Culture a chiffré, noir sur blanc, le coût de NC la 1ère : 23,282 millions d’euros, soit près de 2,78 milliards de F CFP par an, ce qui en ferait la chaîne la plus coûteuse du réseau Outre-mer 1ère. À cette enveloppe s’ajoutent des programmes mutualisés évalués à 684 000 euros et une quote-part de frais de siège estimée à 1,694 million d’euros si la compétence était transférée. Le document détaille aussi 162 ETP (équivalent temps plein) pour des charges de personnel de 18,348 millions d’euros (environ 2,19 milliards F CFP), soit un coût moyen d’environ 1,13 million F CFP par mois et par agent, dont 870 millions F CFP liés à l’indexation. Le contraste est d’autant plus scruté que, malgré ce niveau de dépenses, la chaîne externalise une part croissante de ses programmes, tout en conservant des effectifs comparables aux années où elle produisait davantage en interne. Pour les contribuables, la question est simple : payer autant, pour quel service rendu et avec quelle neutralité éditoriale ?
Le vrai débat : mission publique ou bastion idéologique ?
Privatiser n’est pas un totem pour la droite, c’est devenu, pour une part du pays, une hypothèse de bon sens. D’un côté, une mission publique exigeante qui suppose une exemplarité sans faille ; de l’autre, une mécanique d’antenne et de rédactions que les faits récents rendent difficile à défendre. La vidéo choc a agi comme un révélateur : lorsque des journalistes du service public laissent flotter l’idée d’un combat mené contre une responsable politique, c’est la légitimité de tout l’édifice qui vacille. Et c’est alors la solution radicale, la privatisation, qui cesse d’être un tabou pour devenir une option crédible dans le débat national… en métropole comme en Nouvelle-Calédonie.