Dans sa petite chambre de Montravel, ou les plâtres tombent des murs, Charlyne vit dans une semi-obscurité. Sur la table basse, un paquet de nouilles instantanées, deux cahiers d’écolier, et un téléphone fissuré qui ne la quitte jamais. « C’est mon outil de travail », dit-elle en esquissant un sourire amer. Depuis les émeutes du 13 mai, cette jeune mère de 29 ans s’est tournée vers la prostitution. Un choix contraint, vécu comme une blessure intime.
« Avant, j’étais serveuse »
Avant, Charlyne servait des plats chauds dans un snack du centre-ville.
`J’aimais ce boulot. Les horaires étaient durs, mais au moins c’était honnête.
Tout s’est effondré après l’insurrection. « Le patron a tout perdu. Moi aussi. »
Sans emploi, sans aide immédiate, et avec deux enfants de 7 et 9 ans à nourrir, elle a basculé.
J’ai tenu deux semaines avec mes économies. Puis j’ai mis une annonce sur un site. Son regard se fige. La première fois, j’ai pleuré tout le long.
L’interview
La Dépêche : Comment se déroule une journée type pour vous ?
Charlyne : En général, je me connecte le matin. Je mets une annonce, je réponds aux messages. Les rendez-vous se font souvent en voiture, en ville. C’est 5 000 la passe. Quand je me déplace au domicile d’un client, c’est 10 000. Ça peut être deux fois dans la journée… ou dix, quand j’accepte tout. Mais ce n’est jamais stable.
La Dépêche : Qui sont vos clients ?
Charlyne : De tout. Des hommes mariés, des jeunes, des vieux, des cadres, des ouvriers… Certains veulent juste passer 20 minutes, d’autres discutent avant. Mais tous ont ce point commun : ils profitent de ma situation. Ils savent très bien que je n’ai pas le choix.
La Dépêche : Avez-vous peur ?
Charlyne : Tout le temps. J’ai déjà eu des clients qui ne voulaient pas payer, d’autres qui se montraient violents. Dans une voiture, vous êtes coincée. Je garde toujours mon téléphone pas loin, mais à qui voulez-vous appeler ? La police ? Je risque plus de problèmes que d’aide. Alors je me tais et j’encaisse.
La Dépêche : Vous parlez de honte. Comment vivez-vous ce regard ?
Charlyne : C’est le pire. Je croise des gens que je connais, des voisins, parfois même des anciens clients du snack. Je ne peux pas travailler à Montravel, ça se saurait trop vite. Alors je fais ça en ville. Mais je vis dans la peur qu’un jour mes enfants l’apprennent.
La Dépêche : Comment arrivez-vous à gérer vos enfants et ce quotidien ?
Charlyne : Ils croient que je fais du ménage ou des petits boulots. Je rentre tard, je suis épuisée, mais je dois continuer comme si de rien n’était. C’est ça le plus dur : sourire quand, à l’intérieur, vous êtes détruite.
La Dépêche : Voyez-vous une porte de sortie ?
Charlyne : Je ne veux pas faire ça toute ma vie. Mais aujourd’hui, c’est ça ou rien. Tant que l’économie ne redémarre pas, tant qu’on ne nous donne pas d’alternatives, je suis coincée. Je rêve juste d’un vrai travail, d’une stabilité. Je ne demande pas grand-chose : un salaire, un avenir pour mes enfants. Pas cette survie permanente.
« Ce n’est pas une vie »
À la fin de l’entretien, Charlyne lâche un souffle lourd. « Ce n’est pas une vie, c’est une survie. » Derrière les mots, il y a la fatigue, la peur, mais aussi une forme de dignité : celle de tenir debout malgré tout.