Une conquête stratégique pour la France royale. Une île volcanique devenue pilier des Antilles françaises.
Aux origines d’une conquête voulue par Richelieu
Le 15 septembre 1635, Pierre Belain d’Esnambuc débarque sur la Martinique avec une centaine de colons venus de Saint-Christophe. Au nom du roi Louis XIII, il érige aussitôt le fort Saint-Pierre, pierre fondatrice d’une implantation durable. Derrière ce geste, une volonté politique claire : Richelieu entendait faire de la France une puissance coloniale capable de rivaliser avec l’Espagne et l’Angleterre. La Martinique, île volcanique au climat tropical, devient dès lors un avant-poste stratégique au cœur des Petites Antilles.
La Compagnie des îles d’Amérique, créée par privilège royal, reçoit pour mission de coloniser ces terres et de christianiser leurs habitants. Mais au-delà de la religion, un enjeu économique domine : la culture de la canne à sucre. Cette denrée rare, jusqu’alors importée des pays musulmans, saignait les finances du royaume. En exploitant la Martinique, la France entend protéger son numéraire et affirmer sa souveraineté dans un monde dominé par la logique mercantiliste.
Dès les premières années, les colons se heurtent aux Amérindiens caraïbes, premiers occupants de l’île, qui résistent aux expropriations. En 1636, ces derniers obtiennent un repli en Cabesterre, avant de disparaître progressivement, intégrés progressivement par le métissage avec les colons et les esclaves africains. L’implantation française, marquée par les tensions et la violence, s’impose néanmoins comme irréversible.
Une île façonnée par la canne à sucre et l’esclavage
La mise en valeur de la Martinique ne peut se comprendre sans évoquer l’arrivée d’esclaves africains. Venus du Sénégal, de Guinée et d’Angola, ils sont contraints de travailler dans les grandes plantations de canne à sucre, véritables « habitations » de plusieurs centaines d’hectares confiées à des aristocrates en quête de fortune. En quelques décennies, l’économie de l’île repose sur cette production intensive qui enrichit la métropole.
Sous Louis XIV, la Compagnie des Indes orientales prend le relais d’une gestion chaotique. Le pouvoir royal cherche à encadrer juridiquement le système esclavagiste. En 1685, le Code Noir, attribué à Colbert et finalisé par son fils Seignelay, fixe la place de l’esclave dans la société coloniale. Ce texte fondateur, souvent critiqué aujourd’hui, fut à l’époque à la fois un outil d’organisation sociale et un instrument de domination.
L’île devient alors un espace convoité. Les guerres coloniales se succèdent : Hollandais et Anglais tentent régulièrement de s’emparer de la Martinique. Malgré ces assauts, la France conserve son joyau antillais, essentiel à son commerce maritime. La population croît rapidement, atteignant près de 100 000 habitants au XVIIIe siècle, dont la majorité sont des esclaves. Cette réalité démographique illustre à quel point la prospérité de la Martinique reposait sur le travail forcé.
Révolutions, guerres et héritage français
La Révolution française bouleverse l’ordre établi. En 1794, alors que la Convention abolit l’esclavage, les planteurs martiniquais se rallient aux Anglais pour conserver leurs privilèges. Faute de soutien militaire, la garnison française capitule. La Martinique ne reviendra à la France qu’en 1802, à la faveur de la paix d’Amiens. Mais Napoléon Bonaparte refuse d’appliquer l’abolition de l’esclavage. Les esclaves devront attendre 1848 pour être définitivement affranchis.
La Martinique a aussi vu naître une figure marquante de l’histoire impériale : Joséphine de Beauharnais, future épouse de Napoléon et impératrice des Français. Cette filiation souligne combien l’île, malgré sa taille réduite, s’inscrit au cœur du destin national.
Aujourd’hui encore, la Martinique demeure profondément française. Son histoire, marquée par la colonisation, les conflits et les métissages, témoigne d’une volonté politique forte : ancrer durablement la France dans les Caraïbes. L’initiative de d’Esnambuc, soutenue par Richelieu, a façonné une identité qui conjugue héritage européen, africain et antillais.
La Martinique illustre ainsi la grandeur et les contradictions de l’expansion coloniale française : puissance et prospérité, mais aussi tensions sociales et mémoires douloureuses. Reste une certitude : sans ce 15 septembre 1635, l’histoire de la France et des Antilles n’aurait pas eu le même visage.