Un an après les émeutes de mai 2024, la réalité économique ne se cache pas derrière les mots.
Le député des Yvelines Charles Rodwell, membre de la commission des finances, a parcouru Nouméa pour voir et comprendre. Aux côtés de Sonia Backès, il a multiplié les échanges de terrain avec des chefs d’entreprise sinistrés. Objectif assumé : mesurer les besoins concrets, du court au long terme, pour remettre des Calédoniens au travail. De Kenu In à Montravel, jusqu’à Magenta, la même question revient : comment rebâtir vite et bien, sans laisser de salariés au bord de la route.
Les chiffres, les délais et les chantiers dessinent une trajectoire possible, à condition d’aligner décisions et financements.
Voir, c’est mieux comprendre
a résumé un proche du dossier. Ce déplacement a livré trois images fortes, trois réalités, une seule urgence.
Carrefour Kenu In : l’onde de choc sociale et le défi d’un chantier sur trois ans
Au Carrefour Kenu In, pillé et incendié dès les premiers jours, les stigmates sont encore visibles.
Le site reste marqué par des façades éventrées et des entrepôts calcinés. Le bilan social est lourd : 600 emplois supprimés.
Ce chiffre résume des vies bousculées
glisse un élu local en marge de la visite. Les indemnisations ont commencé, mais elles ne couvrent pas tout, et ne suffisent pas à relancer une grande surface du jour au lendemain. La reconstruction est programmée sur trois ans, avec des étapes techniques et réglementaires exigeantes.
Le calendrier est contraint, mais la volonté est intacte
souffle un cadre du site. L’enjeu dépasse le commerce : c’est un nœud d’emplois et de logistique pour toute la zone sud. Sans réouverture progressive, c’est une chaîne d’approvisionnement qui reste sous tension. La priorité est claire : sécuriser le foncier, verrouiller les assurances, engager les marchés de travaux.
La clé, c’est la visibilité sur les autorisations et les délais
résume un maître d’œuvre pressenti. Le signal attendu, au-delà des grues et des palissades, c’est la reconstitution du pouvoir d’achat local par le retour des emplois. Chaque mois perdu complexifie la remise en route des équipes et des fournisseurs.
Nous voulons rouvrir étape par étape, pas à pas
dit-on dans l’entourage du projet. Dans l’immédiat, la zone reste un symbole : la casse a été rapide, la réparation sera longue. Le site devra concilier mise aux normes, sécurité et attractivité commerciale.
La clientèle n’attendra pas indéfiniment
avertit un commerçant voisin. Entre reconstruction et reconquête, la bataille se joue maintenant.
La trajectoire est connue, la constance d’exécution fera la différence.
Société Le Froid : produire, s’approvisionner, survivre
À Montravel, la Société Le Froid n’a pas été épargnée par les flammes. La perte atteint 45 % du chiffre d’affaires, un choc direct sur la trésorerie. Sur 130 salariés, 110 sont au chômage depuis janvier 2025.
C’est une mise en sommeil contrainte, pas un renoncement
insiste un responsable. Pour tenir, l’entreprise a dû importer depuis Fidji une partie des produits.
Elle a même exporté certains ingrédients locaux vers l’Australie pour préserver des partenariats.
On s’adapte pour garder la tête hors de l’eau
souffle un cadre logistique. Le site attend encore le feu vert pour démolir et préparer la reconstruction. Sans décision, pas d’appel d’offres, sans appel d’offres, pas de calendrier industriel.
Il faut déverrouiller la séquence technique
martèle un interlocuteur du secteur. La filière du froid ne tolère ni aléa sanitaire, ni rupture prolongée d’approvisionnement. Le risque, si l’arrêt se prolonge, c’est la perte de compétences et la désorganisation des chaînes locales.
Les techniciens ne peuvent pas rester inactifs trop longtemps
rappelle un syndicaliste. À l’échelle du territoire, conserver un acteur de production est un enjeu de souveraineté alimentaire et de prix. Le retour à la normale implique des investissements lourds et des délais réalistes.
Reconstruire, oui ; promettre l’impossible, non
glisse un industriel voisin. Pour l’heure, la stratégie est double : sécuriser l’amont et préserver les marchés. Les partenaires veulent des dates, les banques veulent des garanties.
Tout le monde cherche de la prévisibilité
résume un conseiller financier. Dans cette équation, chaque semaine compte, pour l’emploi comme pour la compétitivité.
Groupe Jeandot : l’automobile entre choc d’inventaire et nécessité de relance
À Magenta, le groupe Jeandot a vu une partie de ses locaux partir en fumée. La conséquence sociale est immédiate : près de 100 emplois supprimés, soit 30 % des effectifs.
On ne gère pas seulement des stocks, on gère des familles
confie un manager. Dans l’automobile, la vitesse de reprise est stratégique : les commandes, la maintenance, les garanties se jouent au trimestre. Sans relance rapide, c’est l’écosystème des garages, carrossiers et distributeurs qui s’étiole.
Chaque jour perdu fragilise les autres ateliers
observe un professionnel du secteur. La priorité opérationnelle : réinstaller les capacités d’accueil et d’après-vente. C’est là que se fidélise la clientèle et que se stabilisent les recettes.
Refaire une vitrine, c’est une chose ; refaire un atelier, c’en est une autre
rappelle un responsable technique. Le groupe vise un redémarrage par étapes, en calibrant les effectifs sur la courbe de commandes. Le besoin de trésorerie est réel, mais adossé à des flux d’activité identifiables.
Il faut retrouver du rythme, le reste suivra
dit un cadre. À l’échelle du territoire, l’automobile irrigue mobilité, emploi et formation. Ne pas laisser s’installer une rupture durable, c’est éviter un coût social plus élevé demain.
La relance, c’est tout de suite
insistait un expert présent sur place. Le cap est tracé : remettre du service, puis de l’investissement.
Avec, en filigrane, la fidélité de clients qui ont besoin de solutions proches et fiables.
Ce que Paris doit entendre : décisions rapides, financements lisibles, effets visibles
La tournée a offert une photographie nette : dégâts massifs, volonté de rebond, contraintes administratives.
Les acteurs locaux sont au rendez-vous, ils demandent de la clarté
résume un observateur.
Clarté sur les autorisations de démolition et de reconstruction.
Clarté sur les modalités d’indemnisation et les compléments assurantiels.
Clarté sur les instruments financiers mobilisables pour l’investissement productif.
Sans lisibilité, pas d’engagement durable
rappelle un banquier. Le rôle de l’État est attendu sur les séquences qui bloquent le lancement des chantiers. Le rôle des collectivités est décisif pour coordonner les priorités de zones et de voiries.
On reconstruit une économie comme on reconstruit une route : tronçon par tronçon
glisse un technicien. Le temps politique doit coller au temps industriel. Un calendrier 2025-2028 est cohérent pour Kenu In ; il doit être tenu. Le Froid a besoin d’un top technique pour enclencher ses marchés. Jeandot cherche du rythme pour préserver ses compétences. La Calédonie a déjà la volonté ; il lui faut désormais la vitesse d’exécution.
Parce que derrière les murs à rebâtir, il y a des paies, des familles, et l’avenir d’une économie qui refuse de plier.
@province sud