Deux hommes politiques face à face : l’un sur les bancs du public, l’autre au perchoir. Ce 23 septembre, aux Îles Loyauté, le duel silencieux entre Jacques Lalié et Mathias Waneux a capté toutes les attentions. À 20 000 km de là, rue de Montpensier, les Sages du Conseil constitutionnel examinaient une affaire explosive.
Lalié face aux juges : une QPC aux enjeux décisifs
Le 3 octobre prochain, le Conseil constitutionnel rendra sa décision sur la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) déposée par Jacques Lalié. L’ancien président de la province des Îles Loyauté, condamné en appel le 26 novembre 2024 à douze mois de prison avec sursis, une amende d’un million de FCFP et surtout deux ans d’inéligibilité avec exécution provisoire, avait été déclaré démissionnaire d’office de ses mandats locaux par arrêté du Haut-Commissaire le 29 novembre 2024.
Cette sanction, prévue au paragraphe III de l’article 195 de la loi organique du 19 mars 1999, frappe directement les élus du Congrès ou des assemblées provinciales de Nouvelle-Calédonie. Elle entraîne automatiquement la perte du mandat, sans attendre l’issue définitive des procédures judiciaires.
Or, comme l’a rappelé la défense représentée par Maître Pierre Robillot, ce mécanisme crée une rupture d’égalité flagrante avec les parlementaires nationaux. Députés et sénateurs ne perdent leur siège qu’une fois la condamnation définitive, même si l’exécution provisoire a été prononcée. Un régime de faveur pour Paris, une sanction expresse pour Nouméa.
Waneux réaffirme son autorité face à Lalié
À Wé, la séance publique de l’assemblée des Îles Loyauté a pris une tournure inattendue. À peine les débats ouverts, Mathias Waneux a tenu à rappeler devant les élus et la presse qu’il demeurait « aux manettes » de la province. Un message clair, qui résonnait comme une réponse directe à la présence de Jacques Lalié dans le public.
Ce face-à-face silencieux illustre la tension politique locale. D’un côté, un président en exercice déterminé à maintenir son cap. De l’autre, un ancien chef de l’exécutif provincial qui espère un retour en grâce par la voie judiciaire. Le contraste a frappé les observateurs : deux générations, deux styles, un même territoire en quête de stabilité.
Pour les habitants, l’enjeu dépasse les querelles personnelles. La province, déjà fragilisée économiquement et socialement, a besoin de lisibilité et de cohérence. Or, la bataille juridique de Lalié entretient un climat d’incertitude institutionnelle qui risque d’épuiser la population.
Le cœur du débat : égalité devant la loi et probité des élus
Le Conseil d’État, par sa décision du 26 juin 2025, a reconnu que la question soulevée présentait un caractère sérieux. Les juges ont relevé que la règle actuelle impose une sévérité particulière aux élus calédoniens, alors que les parlementaires nationaux sont protégés jusqu’à l’épuisement de leurs recours.
Le gouvernement, représenté par Thibault Cayssials, chargé de mission sur les questions constitutionnelles au sein du Secrétariat général, a défendu la législation en vigueur. Mais les arguments de la défense s’appuient sur des principes solides : égalité devant la loi (article 6 de la Déclaration de 1789) et droit au recours effectif (article 16).
L’affaire met aussi en lumière les évolutions législatives récentes. Depuis 2016, puis 2017, 2018 et 2022, le législateur a rendu obligatoire la peine d’inéligibilité pour les infractions de probité. Mais la jurisprudence constitutionnelle a précisé que la déchéance d’un parlementaire ne peut intervenir qu’après une condamnation définitive. Pourquoi en serait-il autrement pour les élus calédoniens ?
Cette différence de traitement apparaît comme une injustice institutionnelle. Même Marine Le Pen, condamnée en 2019 à cinq ans d’inéligibilité avec exécution provisoire, avait perdu son mandat de conseillère départementale… mais conservé celui de députée.
Le 3 octobre, la réponse du Conseil constitutionnel sera scrutée bien au-delà de Nouméa. Si la QPC est validée, Jacques Lalié pourrait retrouver un argument juridique pour contester son exclusion et rêver d’un retour politique. Dans le cas contraire, sa condamnation restera synonyme de fin de parcours.
Mais l’enjeu dépasse la seule carrière de Lalié. Cette décision dira si l’État français accepte ou non une différence de traitement entre ses propres élus. Pour les Calédoniens, elle sera un signal fort sur la place de leur institution dans la République.
La probité des élus est une exigence démocratique. Mais l’égalité devant la loi doit rester un principe intangible. Les Sages du Conseil constitutionnel auront donc à trancher entre deux impératifs : maintenir une exigence de transparence accrue ou garantir une équité juridique pleine et entière.