C’est un secteur qui pèse lourd dans l’économie calédonienne. Mais derrière l’attractivité du Grand Casino de Nouméa, une question demeure : qui protège les joueurs vulnérables ?
Un choix économique assumé par le gouvernement
Ce mardi 23 septembre 2025, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie a renouvelé l’autorisation d’exploitation du Grand Casino de Nouméa pour une durée de dix ans, à compter du 2 octobre prochain. Ce choix n’est pas anodin : l’établissement est un acteur majeur du tourisme et de l’économie locale. En réaffirmant sa confiance à la société Casino de Nouméa, l’exécutif mise sur la stabilité d’un secteur générateur d’emplois et de recettes fiscales.
Mais derrière cette décision politique, une question se pose : comment prévenir les dérives liées aux jeux d’argent ? La chambre territoriale des comptes, dans son dernier rapport, relevait déjà que plus de 300 clients avaient fréquenté le casino plus de dix fois par mois en 2023. C’est une minorité, certes, mais révélatrice des risques d’addiction.
L’État comme le Congrès rappellent régulièrement que l’encadrement des jeux de hasard est une compétence sensible, au croisement de l’ordre public, de la santé et de l’économie. La Calédonie, terre de libertés, ne peut fermer les yeux sur les excès, au risque de transformer un outil économique en machine à exclusion sociale.
Une addiction aux effets destructeurs
Contrairement à une idée reçue, l’addiction au jeu n’est pas une fatalité liée à la pauvreté. Elle touche des profils variés, souvent des individus insérés, mais happés par la spirale du hasard. La Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives le rappelle : trois phases marquent ce parcours dangereux – la phase de gain euphorique, la phase de perte qui pousse à se refaire, et enfin la phase de désespoir, où tout s’écroule.
Les conséquences sont lourdes : surendettement, faillite personnelle, isolement familial, perte d’emploi, voire suicide. L’Observatoire français des drogues et tendances addictives (OFDT) souligne que l’impact sanitaire et social du jeu excessif reste sous-estimé. Dans un territoire comme la Nouvelle-Calédonie, où les solidarités familiales sont déjà fragilisées, les risques sont décuplés.
Face à ces constats, certains militent pour une régulation plus stricte, à l’image de l’Hexagone, où une ordonnance de 2019 impose aux opérateurs un plan annuel de prévention soumis à l’Autorité nationale des jeux. Mais en Nouvelle-Calédonie, ces dispositions sont transposées sans adaptation, ce qui les rend parfois inopérantes – comme le numéro vert métropolitain, peu pertinent dans le contexte local.
Le Casino face à sa responsabilité
Conscient du risque, le Grand Casino de Nouméa a lancé depuis juin 2023 un programme « Jeu Responsable ». Trois axes structurent cette démarche : prévention auprès des joueurs, communication adaptée et accompagnement des profils à risque. Entre juillet 2023 et septembre 2024, près de 100 conventions ont été conclues, principalement des auto-exclusions volontaires.
Les mesures proposées vont de la limitation contractuelle des visites, à l’interdiction administrative volontaire, en passant par l’accompagnement psychologique financé par l’établissement. Des affichages de prévention, des messages intégrés aux mails, des flyers pédagogiques complètent l’arsenal. Tout le personnel a reçu une formation spécifique.
Cependant, la chambre territoriale des comptes reste lucide : si les résultats sont encourageants, l’axe « accompagnement » demeure inachevé. Identifier et suivre les joueurs pathologiques exige des moyens supplémentaires, et pas seulement des bonnes intentions.
Au-delà du Casino, d’autres acteurs comme le Bingo de Nouméa mettent aussi en place des dispositifs d’exclusion volontaire. Mais la réalité est têtue : l’encadrement repose encore trop sur l’initiative du joueur, alors que la dépendance l’empêche justement de discerner.
En reconduisant pour dix ans l’autorisation du Grand Casino de Nouméa, le gouvernement a fait un choix politique clair : soutenir un secteur lucratif, symbole de modernité et de dynamisme touristique. Mais ce choix n’exonère pas d’une vigilance accrue.
La prévention des addictions aux jeux d’argent doit devenir un enjeu de santé publique à part entière. Ni la métropole, avec ses dispositifs pensés pour un autre contexte, ni le laisser-faire ne peuvent suffire. La Nouvelle-Calédonie doit inventer sa propre voie, adaptée à ses réalités sociales et culturelles.
Le Casino, lui, ne peut se contenter de démarches d’image. Il doit aller au bout de son programme, quitte à sacrifier une partie de son chiffre d’affaires. Car un territoire fort se construit sur des citoyens libres, non sur des dépendances entretenues.