Lundi 15 septembre 2025, à Port Moresby, le Premier ministre des Îles Salomon Jeremiah Manele et Véronique Roger-Lacan, ambassadrice de France pour le Pacifique et représentante permanente auprès de la CPS, ont verrouillé une feuille de route : résilience climatique, sécurité maritime, Nouvelle-Calédonie et projets bilatéraux concrets. En toile de fond : la montée en puissance de la Chine et de l’Australie, la place de l’Union européenne, et l’objectif partagé d’offrir aux États insulaires des alternatives réelles à toute dépendance exclusive.
Un contexte resserré : Forum des îles, PRF et « océan de paix »
Le cycle ouvert à Honiara a clarifié trois choses :
- une nouvelle politique de partenariat du Forum des îles du Pacifique (FIP) pour organiser la relation avec les partenaires extérieurs ;
- l’opérationnalisation du Traité sur la Pacific Resilience Facility (PRF), bras financier attendu pour financer l’adaptation et la gestion des catastrophes ;
- une Déclaration pour la paix dans le Pacifique bleu, signal envoyé pour désescalader les rivalités stratégiques.
Dans ce cadre, la France affiche une ligne de crête : soutenir les priorités des insulaires, tout en garantissant redevabilité et efficacité des fonds engagés.
Nouvelle-Calédonie : apaiser, structurer, ancrer dans le régional
Le dossier NC a occupé une place majeure. Paris réaffirme un processus inclusif et pacifique ; Honiara, à la tête de la Troïka du FIP, soutient la poursuite d’un dialogue régional. Le rapport de la mission Troïka post-émeutes 2024, demandé dans un contexte désormais dépassé par la séquence Bougival et la décrue des violences, pourrait être réévalué. L’enjeu, désormais : consolider la stabilité par des mécanismes régionaux lisibles et articuler les chantiers économiques (emploi, investissements, mobilité étudiante) avec les filets PRF.
Chine, Australie, Europe : l’option française plutôt que l’alignement
Le réalisme océanien est connu : sécurité avec Australie/États-Unis, commerce avec Chine, et diversification pour tout le reste. La France joue sa carte d’“offreur d’options” :
- Territoires d’outre-mer comme plateformes (NC, PF, Wallis-et-Futuna) ;
- Recherche et lutte contre la pêche illicite via les forces et instituts ;
- UE–Pacifique : forum d’affaires désormais biennal pour structurer les chaînes de valeur ;
- PACER Plus : à instruire au cas par cas avec les territoires membres du FIP.
L’objectif est clair : éviter le tête-à-tête subi avec une seule puissance en offrant des coopérations utiles (mobilités, connectivité, climat).
Pourquoi la France était hors-salle au dernier sommet du FIP
La non-invitation des partenaires de dialogue a été une décision de neutralisation : préserver un équilibre Chine–Taïwan en écartant tout le monde d’un même geste. Politiquement compréhensible côté FIP, ce choix pose toutefois une question de redevabilité : lorsque Japon, France ou autres contribuent à la PRF, des comptes doivent être rendus devant leurs parlements et contribuables. Conclusion : il faudra ajuster la gouvernance financière pour concilier autonomie insulaire et contrôle démocratique côté bailleurs.
Bilatéral Îles Salomon–France : livrables, pas slogans
À Port Moresby, les deux parties ont listé des projets livrables :
- Musée du patrimoine à Temotu (tourisme, identité, formation) ;
- Aéroports verts et connectivité aérienne (décarbonation et désenclavement) ;
- Coopérations police/santé ciblant les drogues (normes, prévention, répression) ;
- Jeunes chercheurs : facilitation via la CPS pour des parcours régionaux.
Cap : transformer l’intention en budgets, les budgets en chantiers, les chantiers en résultats mesurables.
UE–Pacifique : les territoires français en vitrine économique
Le Forum d’affaires UE–Pacifique tenu à Fidji a servi de rampe de lancement : fortes délégations de Nouvelle-Calédonie, Polynésie et Wallis-et-Futuna, rencontres B2B, et premiers fils de projets sur l’énergie, l’économie bleue et la formation. Le message envoyé aux investisseurs régionaux est simple : cadres stables, accès à l’Europe, chaines logistiques et projets décarbonés, un triangle de compétitivité que la France entend densifier.
Sécurité maritime et climat : le triptyque opérationnel
Dans le Pacifique, la crédibilité se mesure à trois niveaux :
- Patrouiller : lutter contre la pêche illégale, sécuriser les routes ;
- Prévenir : anticiper cyclones, submersions, sécheresses ;
- Financer : mobiliser rapidement la PRF et les lignes UE/France.
Cette approche terre-à-mer doit s’adosser à des indicateurs publics (délais de décaissement, km de côtes protégés, jours de mer, étudiants mobiles). Sans métriques, pas de confiance.
« Alternatives » : la boussole stratégique
Face aux appétits des grandes puissances, les capitales insulaires réclament des offres non exclusives. C’est là que la France peut peser : mobilité étudiante, connectivité aérienne, audiovisuel océanien, ingénierie littorale (y compris solutions innovantes comme la valorisation de scories de nickel pour lutter contre l’érosion), polices sanitaires et normes. But : muscler la souveraineté pratique des États du Pacifique, sans leur demander d’arbitrer entre alliances.