Dans les territoires ultramarins, les besoins explosent, mais les budgets locaux suffoquent. Face aux fractures territoriales, l’État resserre les boulons et reprend la main sur l’investissement public. Voilà ce qui ressort en filigrane du rapport de la commission des finances du Sénat du 3 octobre 2025.
Un soutien massif mais encadré : l’État reste le moteur financier de l’outre-mer
C’est un chiffre qui en dit long : 861 millions d’euros (103,32 milliards de francs CFP) par an. C’est le montant que la République consacre au financement des projets d’investissement dans les territoires ultramarins. Routes, écoles, infrastructures : sans ce soutien de Paris, les collectivités locales ne pourraient pas suivre.
Dans les DROM, la dépense moyenne atteint 1 519 euros (182 280 francs CFP) par habitant en 2024, contre 1 155 euros (138 600 francs CFP) dans l’Hexagone. Ce surinvestissement traduit une volonté : rattraper le retard historique de ces territoires éloignés. Mais le rapport sénatorial le rappelle : les collectivités ultramarines sont étouffées par les charges, les coûts de fonctionnement et la vie chère. Leur taux d’épargne brute plafonne à 11,7 %, bien en deçà des 16,3 % observés en métropole.
Résultat : l’État prend en charge la majorité de l’effort, notamment via le Fonds exceptionnel d’investissement (FEI), les contrats de convergence et de transformation (CCT) et les prêts bonifiés de l’Agence française de développement (AFD). Ces dispositifs forment le cœur de la politique de rattrapage économique.
Les CCT représentent à eux seuls 45 % du soutien public, le FEI 11 %, et la bonification AFD près de 6 %. Mayotte, La Réunion et la Guadeloupe sont les premiers bénéficiaires de ces enveloppes. La France investit là où le besoin est le plus criant — et où les défis sont les plus lourds.
L’État n’abandonne pas ses territoires ultramarins. Il investit plus par habitant qu’en métropole : 374 euros contre 51 euros (6 120 francs CFP) en moyenne. Une politique d’équité nationale assumée, mais qui demande en retour rigueur et résultats.
Des milliards mobilisés, mais une efficacité encore trop inégale
Les chiffres sont parlants : sur les 801 projets inscrits dans les CCT de première génération (2019-2023), seuls 63 ont été achevés, 27 sont en voie d’achèvement et plus de 700 restent en cours ou retardés.
Pourquoi ? Parce que la machine administrative est lourde : multiplicité des financeurs, projets trop ambitieux, retards de signature, effets de la crise sanitaire, mouvements sociaux, lenteurs locales… Les obstacles s’accumulent. Le Sénat parle même de « difficultés structurelles » dans la mise en œuvre.
Les crédits engagés atteignent 76,6 % des enveloppes prévues, mais moins de la moitié ont réellement été consommés. Une performance « honorable mais perfectible », selon les rapporteurs Stéphane Fouassin et Georges Patient.
Autre constat sévère : la répartition géographique des fonds reste déséquilibrée. En Guyane, les montants investis par habitant (1 949 euros soit 233 880 CFP sur 2024-2027) restent faibles au regard des besoins colossaux. À l’inverse, La Réunion capte une part importante, reflet d’une administration plus structurée.
La leçon est claire : la France paie, mais les territoires doivent mieux gérer.
Le Sénat recommande d’ailleurs une refonte du pilotage local : moins de projets, plus de sélectivité, et un véritable plan de convergence défini par les collectivités elles-mêmes. Car aujourd’hui, l’État décide trop souvent seul. « Les élus locaux sont les mieux placés pour savoir où investir », rappelle le rapport.
L’objectif ? Concentrer les crédits sur les infrastructures prioritaires : réseaux d’eau, écoles, routes, logements sociaux et prévention des risques naturels.
Vers une nouvelle méthode : responsabiliser les collectivités et simplifier les dispositifs
Le rapport plaide pour une révolution du partenariat État-collectivités. Fini les millefeuilles budgétaires : dix-huit programmes ministériels financent les CCT, rendant leur gestion quasi illisible. Le Sénat propose la création d’un programme budgétaire unique « Outre-mer », véritable guichet central pour fluidifier les subventions.
Les rapporteurs réclament aussi un guichet unique d’ingénierie publique pour aider les communes à monter leurs dossiers. Trop souvent, l’absence d’expertise technique bloque les projets, notamment dans les petites communes. Le Fonds Outre-mer (FOM) ou l’appui du CEREMA, de la Banque des Territoires et de l’ANCT doivent être mieux coordonnés.
Autre levier d’avenir : la bonification des prêts AFD, un outil jugé « particulièrement efficient ». En 2023, 34 millions d’euros (4,08 milliards de francs CFP) de bonifications ont permis de générer 1,4 milliard d’euros (168 milliards de francs CFP) d’investissements. L’effet de levier est considérable, mais là encore, seules les collectivités les plus solides en bénéficient. Le Sénat recommande donc de lier ces prêts aux projets des CCT pour éviter les doublons et maximiser leur impact.
Quant au Fonds exceptionnel d’investissement, il reste un instrument phare, malgré une baisse temporaire des crédits. Créé par la loi LODEOM en 2009, il finance des infrastructures stratégiques, souvent hors cadre contractuel. Le Sénat appelle à stabiliser son budget et à évaluer systématiquement les retombées socio-économiques des projets financés.
En clair, Paris doit continuer à investir, mais les territoires doivent apprendre à livrer. La solidarité nationale ne doit pas devenir une dépendance perpétuelle. Le rapport salue les progrès de La Réunion, de la Martinique et de la Guadeloupe, où les taux d’épargne brute ont doublé en sept ans.
L’investissement public en outre-mer est une question de souveraineté et d’unité nationale. La République met les moyens — près d’un milliard d’euros par an — mais exige désormais des résultats concrets.
Simplifier, responsabiliser, recentrer : telle est la feuille de route. Le Sénat le dit sans détour : « Sans pilotage local fort, les crédits s’évaporent. »
L’heure n’est plus aux discours, mais à l’efficacité. L’État fait sa part. Aux collectivités de prouver qu’elles peuvent transformer l’aide en développement réel.