Une impasse politique, un pouvoir présidentiel prêt à dégainer son ultime arme.
La France retient son souffle : la dissolution pourrait revenir au cœur du jeu institutionnel.
Un exécutif à bout de souffle, une Ve République sous tension
La crise politique s’enlise. Démissionnaire puis reconduit, Sébastien Lecornu dirige un gouvernement qui peine à exister. Les tentatives de coalition tournent à vide, tandis que les sondages placent le Rassemblement national en tête de toutes les intentions de vote. Une majorité de Français — près de 60 % selon plusieurs enquêtes — se disent favorables à un retour aux urnes.
Dans ce climat délétère, la dissolution de l’Assemblée nationale apparaît de plus en plus comme une issue inévitable. Emmanuel Macron, affaibli mais toujours maître du calendrier, dispose de ce pouvoir exclusif prévu par l’article 12 de la Constitution. Il peut, après consultation du Premier ministre et des présidents des deux chambres, prononcer la fin prématurée du mandat des députés. Une arme politique redoutable, utilisée depuis 1958 pour sortir la France de ses blocages institutionnels.
Mais à trop jouer avec le feu démocratique, le président pourrait bien renforcer ses adversaires. Car depuis le 9 juin 2024, le paysage politique a basculé : le succès historique du Rassemblement national aux européennes a mis fin à la domination du bloc central. La droite populaire a pris racine, et la gauche reste morcelée, incapable de proposer une alternative cohérente.
Le spectre d’un second 9 juin : la tentation du reset politique
Le précédent de 2024 plane encore sur l’Élysée. Ce soir-là, après la claque des européennes, Emmanuel Macron avait dissous l’Assemblée nationale dans un geste spectaculaire. Le pays s’était alors retrouvé plongé dans une campagne éclair de vingt jours, marquée par les divisions et la montée de la colère populaire.
Un an plus tard, les plaies institutionnelles n’ont jamais cicatrisé. Les gouvernements se succèdent, sans majorité stable. Les députés s’épuisent dans des combats de procédure. L’action publique est paralysée. Dans ce contexte, le chef de l’État pourrait tenter un “reboot politique” : redonner la parole aux Français, quitte à risquer une victoire écrasante du RN.
Mais le pari est dangereux. Car la Constitution de 1958 encadre strictement la dissolution : impossible d’y recourir deux fois dans l’année qui suit des législatives anticipées. Depuis le 8 juillet 2025, ce verrou juridique a désormais sauté. Le champ est libre. La tentation est réelle. Et autour de Macron, certains plaident déjà pour “clarifier la situation une bonne fois pour toutes”.
Pourtant, cette dissolution serait une épée à double tranchant. Elle pourrait offrir au président une respiration institutionnelle, ou précipiter la France dans une cohabitation inédite avec un Premier ministre RN — un scénario que redoutent les chancelleries européennes et une partie de l’administration d’État.
Dissoudre pour mieux régner ou pour céder le pouvoir ?
D’un point de vue strictement républicain, la dissolution incarne la souveraineté présidentielle. C’est un acte solennel, sans contreseing gouvernemental, qui souligne la verticalité du pouvoir en France. Chaque fois qu’elle est prononcée, elle réinitialise le jeu démocratique et suspend les activités parlementaires : les commissions, les débats et le contrôle législatif sont immédiatement gelés.
Durant cette période de vacance, le gouvernement expédie les affaires courantes. Les décisions majeures sont mises en pause, pour garantir la neutralité de l’État. Le pays entre alors dans une parenthèse politique, un entre-deux où tout semble figé, sauf les ambitions.
La campagne électorale s’annonce courte, brutale, dominée par la peur du vide et la soif de changement. À droite, le RN affûte déjà ses armes, convaincu que le moment historique approche. À gauche, les divisions persistent entre écologistes, insoumis et socialistes. Quant au camp présidentiel, il apparaît plus affaibli que jamais, sans leader charismatique ni base solide.
La dissolution, dans ce contexte, serait plus qu’un acte juridique : un pari sur l’avenir. Macron miserait sur l’usure des oppositions et sur la crainte du chaos pour tenter un ultime redressement politique. Mais l’opinion publique, majoritairement favorable à un nouveau scrutin, semble désormais vouloir reprendre la main sur un pouvoir jugé déconnecté.
En définitive, la dissolution de l’Assemblée nationale n’est pas une fuite en avant : c’est une clarification démocratique. Elle remet le peuple au centre du jeu, tout en testant la solidité de la Ve République face aux fractures contemporaines.
Mais elle pourrait aussi ouvrir une nouvelle ère, où le Rassemblement national deviendrait la première force politique de France. Une perspective que certains voient comme une menace, d’autres comme une restauration de la voix populaire.
Quoi qu’il en soit, la décision appartient à un seul homme : Emmanuel Macron. Le président sait que chaque dissolution marque l’Histoire. Et s’il choisit de franchir le pas, la France pourrait bien assister à la plus grande recomposition politique depuis 1958.