Le débat ressurgit chaque automne. Les horloges reculent, les nuits s’allongent, et la France entière se redécale d’une heure. Mais derrière ce geste anodin, c’est tout un héritage énergétique et politique européen qui se joue.
Faut-il vraiment continuer à jouer avec le temps ?
Un héritage d’après-guerre bien français
Tout commence bien avant 1976. En 1916, la France adopte pour la première fois l’heure d’été, suivant l’Allemagne et le Royaume-Uni. L’objectif : économiser le charbon, ressource stratégique pendant la Première Guerre mondiale. Mais à la Libération, en 1944, la France abandonne ce système, avant de fixer en 1945 une heure légale désormais décalée d’une heure par rapport à son fuseau naturel (UTC+1).
Trente ans plus tard, le décret du 19 septembre 1975 marque le retour de l’heure d’été. Objectif : faire des économies d’énergie en réduisant les temps d’éclairage artificiel le soir. Résultat : l’heure d’été est fixée à UTC+2. Ce qui devait être provisoire est devenu une institution.
Et pourtant, la mesure n’a jamais concerné l’Outre-mer (sauf Saint-Pierre-et-Miquelon). Ces territoires, ancrés dans d’autres fuseaux horaires, suivent depuis 2017 des décrets spécifiques. Une décision logique : l’énergie y dépend d’autres équilibres, climatiques et économiques.
L’Europe du temps : entre harmonisation et absurdité
Dans les années 1980, l’idée séduit Bruxelles. Chaque pays européen ayant ses propres dates de changement d’heure, la Commission décide d’harmoniser les règles. La directive 2000/84/CE impose alors un calendrier commun : mars pour l’heure d’été, octobre pour l’heure d’hiver.
Aujourd’hui, l’Union européenne compte trois fuseaux horaires :
L’Europe occidentale (UTC) : Irlande, Portugal ;
L’Europe centrale (UTC+1) : France, Allemagne, Italie, Espagne, etc. ;
L’Europe orientale (UTC+2) : Bulgarie, Grèce, Finlande, etc.
Mais derrière cette apparente cohérence se cache un paradoxe : le soleil ne se lève pas à la même heure à Brest et à Berlin, pourtant alignés sur le même fuseau.
Une uniformisation technocratique qui sacrifie le bon sens géographique sur l’autel de la coordination européenne.
Un système contesté mais difficile à supprimer
En 2018, la Commission européenne lance une consultation publique. Résultat : 4,6 millions de réponses, dont 84 % favorables à la suppression du changement d’heure. En France, une consultation de l’Assemblée nationale aboutit au même constat.
Pourtant, rien n’a bougé.
Le Parlement européen avait voté en 2019 pour mettre fin au système. Chaque État devait choisir entre heure d’été permanente ou heure d’hiver permanente. Mais les désaccords entre États ont tout bloqué. Difficile d’imaginer une Europe où certains déjeuneraient à midi quand d’autres seraient encore en plein petit-déjeuner.
En 2025, la Commission remet le sujet à l’agenda 2026. Une relance politique… sans calendrier précis. Le Covid-19 est passé par là, les crises énergétiques aussi. Pourtant, à l’origine, l’objectif était simple : économiser l’électricité, produite à l’époque par le fioul.
Selon l’Ademe (2010), les effets étaient positifs : une baisse de la consommation et des émissions de CO₂. Mais à l’ère des LED, du télétravail et des bureaux climatisés, les gains sont devenus marginaux.
Le débat dépasse la technique. Il pose une question de fond : faut-il continuer à suivre un modèle européen uniformisé au détriment des réalités locales ?
Le changement d’heure, symbole d’une Europe administrative, illustre la difficulté à réformer une habitude devenue institution.
De nombreux pays ont déjà tranché : la Russie, la Turquie, l’Argentine ou la Tunisie ont abandonné les changements saisonniers. Le Canada, les États-Unis ou l’Australie les pratiquent encore, mais de manière hétérogène.
En France, la majorité des citoyens souhaite la fin du dispositif. Pourtant, le pouvoir politique reste figé, coincé entre prudence diplomatique et inertie européenne.
Le temps passe, les saisons changent, mais la décision reste en suspens. Une fois de plus, la France attend Bruxelles pour ajuster… son horloge.















