Depuis des années, les Coups de gueule d’Océane FM font vibrer le 95 FM. Véritable agora populaire, l’émission donne la parole à tous : automobilistes excédés, citoyens indignés, rêveurs du matin et râleurs du quotidien.
Mais un jour, un débat inattendu a traversé les ondes : “Et si cette émission était devenue trop négative ?”
Entre lassitude et liberté d’expression, animateurs et auditeurs ont échangé sans filtre sur la philosophie même du programme, devenu un miroir du pays.
“Arrêtez de tout peindre en noir !” : la voix des auditeurs fatigués
Un auditeur, calme mais ferme, a ouvert le bal :
On a l’impression que le matin, c’est la réunion du suicide collectif ! Il faut arrêter de tout voir en noir
Sa critique fait mouche. Il dit tout haut ce que certains pensent tout bas : la saturation face aux plaintes en boucle, aux colères répétées, à cette ambiance “à chaud” où tout semble aller mal.
Les gens vont au travail, ils veulent écouter du positif, pas du désarroi
Ce coup de gueule contre les coups de gueule fait réagir l’équipe. L’émission, pourtant conçue comme un exutoire, se retrouve jugée sur son propre ton. Un paradoxe révélateur d’un pays où la parole publique oscille entre fatigue et nécessité.
“Gueuler, ça fait du bien” : la défense passionnée des animateurs
Les animateurs, eux, ne se défilent pas. L’un d’eux répond avec sincérité :
Le but, ce n’est pas de garder l’audience, c’est de libérer la parole. Parler de ce qu’on vit, ça aide. Ça soulage
Et sa collègue renchérit :
J’étais auditrice avant d’être derrière le micro. Moi aussi, ça me fatiguait parfois d’entendre râler, mais j’ai compris que pour certains, c’était la seule façon d’exister
Le ton est posé, bienveillant.
Pour eux, les Coups de gueule ne sont pas un mur de plaintes mais un exutoire collectif, une soupape sociale dans un contexte tendu, vie chère, incertitude politique, fatigue économique.
Ici, on ne fait pas du bruit, on fait du bien
conclut un animateur, rappelant que derrière chaque voix en colère se cache souvent un appel à l’aide.
Liberté d’expression : quand le micro devient un symbole
La discussion aurait pu s’arrêter là, mais un autre auditeur prend la parole :
S’il n’aime pas, il a qu’à changer de radio !
Rires en plateau. La phrase claque, directe, populaire.
Elle traduit une autre conviction : la liberté de s’exprimer vaut bien quelques décibels de trop.
Dans un territoire où beaucoup se sentent oubliés ou ignorés, le micro devient un refuge.
Un lieu où tout le monde, du travailleur à la retraitée, du jeune auditeur à la mère de famille, peut dire “ça ne va pas”.
Ce dialogue improvisé entre les deux camps, les positifs et les râleurs, dessine le véritable visage de l’émission : un forum citoyen.
Et si certains se plaignent du ton, d’autres y voient un outil démocratique brut, sans filtre ni censure.
La radio, miroir de la société calédonienne
Ce débat radiophonique dépasse le simple cadre médiatique.
À travers les voix du matin, c’est toute la Calédonie d’aujourd’hui qui s’exprime : un pays contrasté, entre lassitude et espoir, entre colère et humour.
Les animateurs, eux, assument cette dualité :
Oui, il y a des râleurs. Mais il y a aussi des rieurs. Et souvent, c’est la même personne
En creux, ce débat révèle quelque chose d’essentiel : le besoin d’un espace où la parole circule librement, même si elle dérange.
Parce qu’avant d’être un programme, Coups de gueule est devenu un thermomètre social, celui d’un territoire qui cherche encore comment se dire.
Le râleur, ce héros du matin
Au fond, l’auditeur qui râle n’est pas un ennemi du bien-vivre : il en est le symptôme vivant.
Gueuler, c’est refuser l’indifférence. C’est dire “j’existe, j’en ai marre, mais j’espère encore”.
Et si Coups de gueule dérange parfois, c’est peut-être parce qu’elle touche juste : là où le pays doute, elle écoute.
Parce qu’en Calédonie, avant de construire ensemble, il faut savoir, parfois crier un bon coup.















