Le Nouméa Women’s Forum entre dans sa cinquième édition avec une idée simple et puissante : faire de l’autonomisation des femmes un levier de transformation pour la Nouvelle-Calédonie et, désormais, pour toute la région. Pendant trois jours, l’événement assume un agenda clair : entreprendre, se former, protéger, coopérer. Contexte post-crise, montée des enjeux régionaux, besoin de réseaux solides : le moment est propice pour passer du local au régional et poser une ambition nouvelle, celle d’un Pacific Women’s Forum itinérant, soutenu par la France et adossé aux dispositifs d’accompagnement existants. L’éditorial qui suit prend la mesure de cette bascule stratégique et dessine les conditions d’un changement durable, sans triomphalisme ni angélisme, mais avec une exigence : du concret, des résultats, et une vision.
Un forum enraciné, une ambition élargie
Depuis cinq ans, le Nouméa Women’s Forum a trouvé son public et ses méthodes : ateliers ciblés, masterclass, retours d’expérience et mise en réseau avec les acteurs de l’accompagnement. L’édition 2025 confirme cette ligne et l’étend. L’idée d’un Pacific Women’s Forum n’est pas un slogan : elle répond à trois nécessités. D’abord, mutualiser ce qui fonctionne en Nouvelle-Calédonie (outils, pratiques, partenariats) avec les territoires voisins. Ensuite, accélérer la circulation des talents féminins entre États et territoires du Pacifique, qu’ils soient entrepreneurs, cadres, formatrices ou étudiantes. Enfin, institutionnaliser des passerelles stables (programmes de mobilité, fonds, parrainages, coopérations universitaires) pour sécuriser les projets au-delà de l’événementiel.
Entrepreneuriat féminin : du symbole à l’effet de levier
L’entrepreneuriat n’est pas une incantation. Il exige information, financement, sécurisation juridique et un accompagnement de proximité. Le forum met l’accent sur des gestes concrets : formaliser son activité autrement que par la simple patente, protéger sa responsabilité, monter un dossier bancable, rejoindre une communauté d’entraide. L’approche se veut pragmatique : posture de dirigeante, compréhension du marché, pilotage de la trésorerie, accès au numérique comme facteur de compétitivité et d’inclusion (particulièrement critique dans les îles et en brousse). Le pari est assumé : l’autonomie économique des femmes n’est pas seulement un objectif social, c’est un multiplicateur de résilience pour les familles, les quartiers, les tribus et les filières prioritaires.
Lutte contre les violences : prévenir par la puissance d’agir
Le forum refuse l’angle misérabiliste tout en nommant la réalité : les violences intrafamiliales demeurent un fléau. La réponse proposée tient en deux mots : prévenir et outiller. Prévenir, par l’éducation financière, la confiance en soi, la maîtrise du droit, l’accès à l’emploi et à l’entreprise. Outiller, par des parcours d’accompagnement, une meilleure connaissance des dispositifs (hébergement, écoute, protection), un maillage associatif soutenu, y compris sur terres coutumières. Ici, l’éditorial défend une position claire : c’est la capacité d’agir, économique, juridique, numérique qui réduit durablement la vulnérabilité.
Diplomatie régionale au féminin : faire naître un réflexe Pacifique
La scène est prête pour une montée en puissance : diplomatie régionale, coopération éducative, mobilités étudiantes, réseaux professionnels féminins entre Nouméa, Polynésie, Wallis-et-Futuna et les États insulaires. Objectif : créer un réflexe Pacifique. Un forum itinérant aurait trois vertus politiques : donner de la visibilité à des profils féminins trop discrets, normaliser la présence des femmes aux tables de négociation régionales, synchroniser les efforts publics (fonds dédiés, appels à projets conjoints, parrainages entre capitales). Le message est assumé : le rayonnement régional ne se décrète pas ; il s’organise, se finance, se professionnalise.
Économie sociale et solidaire : l’autre colonne vertébrale
L’ESS n’est plus un supplément d’âme : c’est un instrument de reconstruction dans l’après-émeutes, un outil d’emploi local, de circuits courts, de services de proximité et de création de valeur non délocalisable. Le forum capitalise sur des expériences déjà menées : incubations en tribu, coopératives artisanales, entrepreneuriat agricole et agro-transformations, plateformes de formation et tutorats. L’angle féminin apporte un bénéfice bien identifié : gouvernance sobre, ancrage communautaire, attention aux usages réels, capacité à tenir dans la durée.
Le numérique comme droit d’accès au marché
Ruralité, insularité, coûts logistiques : la fracture numérique est un risque systémique. L’événement pousse une idée simple : sans connectivité, pas de compétitivité. Les priorités sont connues : connectivité abordable, skills de base (e-commerce, facturation, marketing), micro-financements dédiés, mentorat technique. C’est un volet où la coopération régionale peut livrer des gains rapides : mutualisation de contenus de formation, plateformes communes, passerelles avec les universités du Pacifique et les réseaux Women in Tech.
De l’événement à la politique publique : verrouiller l’exécution
Le forum n’a de sens que s’il accouche de feuilles de route. Trois verrous doivent être traités :
- Lisibilité des dispositifs (qui fait quoi, pour qui, dans quel délai).
- Continuité de l’accompagnement (du premier rendez-vous au premier bilan financier).
- Mesure d’impact (emplois créés, taux de survie, chiffre d’affaires, sorties de situation de violence, maintien en territoire).
La clé : gouvernance partagée entre collectivités, services de l’État, chambres consulaires, réseaux d’entrepreneures, associations et financeurs.
Pourquoi un Pacific Women’s Forum peut réussir
Trois atouts justifient la bascule : proximité culturelle, complémentarité des économies (tourisme, agro, artisanat, numérique, énergies, mer) et appétence pour les solutions locales. Trois risques existent : dispersion, sur-promesse, sous-financement. L’antidote : un format léger et reproductible, fondé sur des livrables standardisés (kits juridiques, canevas business, modules numériques, bourses de mobilité, catalogue de financements) et une présidence tournante avec secrétariat permanent minimal.
Un enjeu de souveraineté sociétale
Promouvoir l’entrepreneuriat féminin et la diplomatie au féminin n’est pas un « supplément » : c’est un choix de souveraineté sociale et économique. Dans un Pacifique sous tensions, la stabilité se construit aussi par le travail, la formation, la coopération et la capacité à régler localement des problèmes locaux. C’est tout le sens de cette édition : transformer l’élan en institutions, l’enthousiasme en résultats mesurables.
Le Nouméa Women’s Forum a prouvé qu’un format sobre, concret et exigeant peut modifier la trajectoire d’un territoire. La cinquième édition marque une étape : changer d’échelle, tisser un réseau pacifique de projets portés par des femmes, relier entrepreneuriat, prévention des violences et diplomatie régionale. L’enjeu n’est pas de faire « plus d’événements », mais de faire système. À présent, cap sur l’exécution : des feuilles de route par territoire, des financements orientés impact, des parrainages qui tiennent dans la durée. Au terme de ces trois jours, une promesse : transformer les voix en vecteurs, et les vecteurs en résultats mesurables pour la Nouvelle-Calédonie et pour le Pacifique bleu.




















