Les pierres ne mentent jamais. Elles transmettent ce que les siècles ont tenté d’effacer.
En Nouvelle-Calédonie, les pétroglyphes rappellent que l’Histoire existe aussi en dehors des récits victimaires.
LES ORIGINES : QUAND LA PIERRE RACONTE CE QUE LES HOMMES ONT OUBLIÉ
On l’oublie trop souvent : avant les discours, avant les revendications modernes, il y a des faits. Et les faits, eux, ne changent jamais. Les pétroglyphes, gravures millénaires sur roche, en sont l’illustration la plus spectaculaire. On les retrouve partout dans le monde, Alpes, Nevada, Sahara mais aussi à Rapa Nui, Hawaï ou Tahiti. En Nouvelle-Calédonie, leur présence forme un maillage impressionnant : Thio, Bourail, Poindimié, Canala, Païta, Poya…
Ces dessins, réalisés par des mains anciennes, ne relèvent pas de la fantaisie. Ils témoignent d’un peuplement ancien, structuré, dont les gestes ont traversé les siècles. Une spirale gravée dans la haute vallée de la Rivière Bleue en est aujourd’hui la preuve la plus solide : datée de plus de 3 000 ans, authentifiée par le Département d’archéologie de la PSUD, elle inscrit cet art dans la longue durée.
À Thio, les gravures sont visibles à ciel ouvert, au bord de la route menant au village. Rien d’artificiel, rien de reconstruit. Juste la terre, la pierre et la mémoire intacte. Ces motifs ne sont pas de simples dessins : ils prolongent un héritage remontant au peuplement initial de l’archipel, autour de 1050 av. J.-C., et qui se serait maintenu jusqu’aux années 1930.
Les experts sont unanimes : les pétroglyphes calédoniens appartiennent au grand ensemble de l’art rupestre mélanésien, distinct des traditions polynésiennes. Ils s’inscrivent dans une continuité régionale qui va de la Nouvelle-Guinée à Fidji. Rien d’improvisé, rien de déraciné.
LES MOTIFS : ENTRE SPIRALES, CROIX ENVELOPPÉES ET CARTOGRAPHIES SACRÉES
Les motifs retrouvés en Nouvelle-Calédonie forment un ensemble d’une richesse exceptionnelle : plus de 370 sites recensés et environ 6 000 gravures. Les spirales sont les plus nombreuses, suivies des cercles concentriques et des fameuses croix enveloppées, également connues sur les poteries Lapita vieilles de 3 000 ans.
Contrairement aux discours simplistes, l’évolution technique est claire :
– les gravures les plus anciennes ont été réalisées par frottement ou percussion, donnant des tracés larges et adoucis ;
– les plus récentes, datées après l’arrivée des Européens au XIXᵉ siècle, présentent des arêtes vives car exécutées avec des outils métalliques.
Certaines croix enveloppées étaient tatouées sur le dos des Kanak au XIXᵉ siècle, selon les récits européens de l’époque. Là encore, la transmission symbolique n’est pas un fantasme : c’est un fait.
Le site le plus spectaculaire est celui de Montfaoué, à Poya. On y trouve 156 motifs, groupés le long d’un méandre de rivière. Le gardien du site, Guillaume Koinô Bokoe-Gowe, défend une hypothèse fascinante : ces gravures seraient une carte symbolique du réseau hydrologique. Chaque cours d’eau aurait son motif, son double. Dans une culture où l’eau et le minéral étaient intimement liés, cette lecture prend une cohérence saisissante.
Plus loin, du côté de Canala, la presqu’île de Bogota abrite le site le plus étendu : près de 5 km de roches gravées. Là encore, l’ampleur parle : un art organisé, ancien, continu.
Et puis il y a la spirale de la Rivière Bleue. Mystérieuse. Envoûtante. Elle pourrait symboliser le mouvement du soleil, les cycles de la nature ou une dimension cosmique. Les chercheurs restent prudents, car l’absence d’écriture ouvre la porte à plusieurs interprétations. Mais tous s’accordent sur un point : ce motif est l’un des plus anciens témoins visuels d’un monde aujourd’hui disparu.
THIO, RIVIÈRE BLEUE, MONDIALISATION DE LA MÉMOIRE : UN PATRIMOINE QUI RÉSISTE
Il existe encore, dans cette époque obsédée par l’instant et la victimisation, des trésors qui rappellent que nous sommes les héritiers d’un temps long. Les pétroglyphes de Thio, posés dans la pierre, ne demandent qu’une chose : qu’on les écoute. Leur silence dit plus que bien des discours.
Ils racontent un peuple créatif, structuré, relié à son environnement. Un peuple qui n’avait pas besoin de slogans pour exister. Un peuple dont l’art, par la force du geste, a traversé trois millénaires.
Le parallèle avec les plus vieux pétroglyphes du monde, en Inde centrale, datés entre 290 000 et 700 000 ans rappelle une vérité fondamentale : l’humanité n’a jamais attendu l’ère moderne pour créer, transmettre, marquer la pierre et le temps.
Au Parc provincial de la Rivière Bleue, la spirale gravée attire aujourd’hui passionnés, familles, chercheurs, simples curieux. La nature y crée un écrin spectaculaire. Le visiteur qui s’y arrête, ne serait-ce qu’un instant, comprend une chose essentielle : la pierre ne ment pas. Elle ne s’invente pas une histoire. Elle n’efface personne. Elle ne fabrique pas de récit artificiel.
Elle transmet.
Et si la Nouvelle-Calédonie veut préserver ce qui la dépasse, ce qui la précède, ce qui la fonde, elle devra continuer d’écouter ces pierres anciennes. Car ce ne sont pas des vestiges : ce sont des repères.
(Crédit photo : office de tourisme de Thio & Musée de la mine)

























