Sous la moiteur politique du pays, un parfum de vérité rattrape enfin des années de décisions opaques.
À Aircal, l’heure n’est plus aux discours : les chiffres, eux, ne mentent jamais.
Un outil stratégique en déclin, malgré des aides massives
Depuis plus de quinze ans, Air Calédonie, pilier du transport intérieur, navigue dans une zone de turbulences financières. Derrière les déclarations officielles, une réalité implacable s’impose : la compagnie affiche un exercice 2024 déficitaire, avec près d’un milliard de francs CFP de pertes cumulées, malgré un soutien public constant.
Aircal a présenté au Congrès un plan de transformation ambitieux : restructuration interne, rationalisation des coûts et, surtout, transfert stratégique des activités de Magenta vers l’aéroport de La Tontouta. Cette décision, défendue par le gouvernement comme la seule voie crédible pour sauver l’entreprise, repose sur un constat partagé par les spécialistes : l’aérodrome de Magenta atteint ses limites techniques, environnementales et opérationnelles.
Pourtant, l’UC-FLNKS, aujourd’hui à l’origine d’une demande de commission d’enquête, affirme ne pas disposer d’informations suffisantes pour évaluer les risques de ce transfert. Un argument qui interroge, tant le sujet est connu depuis plus d’une décennie dans les sphères institutionnelles.
D’autant que de larges zones d’ombre persistent dans la gestion de la plateforme de Magenta : contraintes opérationnelles peu détaillées, rapports incomplets, absence de vision consolidée. Des éléments essentiels manquent toujours à l’analyse publique. C’est précisément ce vide que l’UC prétend dénoncer aujourd’hui, alors qu’elle a piloté le secteur pendant près de vingt ans.
Vingt ans de pilotage UC : un lourd héritage qui ressurgit
La demande d’enquête fait l’effet d’un boomerang politique. Car depuis 2007, le transport aérien domestique relève des attributions directes de l’UC dans les gouvernements successifs. Membre du gouvernement sans discontinuer depuis 2011, le maire de Canala, Gilbert Tyuienon a toujours conservé ce portefeuille stratégique dans son pré carré politique.
Les nominations des dirigeants d’Aircal ? Validées par un conseil d’administration sous influence politique directe. Les orientations structurelles ? Décidées et assumées par ceux-là mêmes qui demandent aujourd’hui de « faire toute la lumière ».
Plusieurs décisions lourdes pèsent sur le débat actuel :
– la construction d’un aérogare de fret à Magenta : 540 millions de francs CFP pour une installation à l’utilité contestée et rapidement sous-utilisée ;
– la remise aux normes de la piste et son prolongement de 150 mètres : 1,5 milliard de francs CFP, alors que le transfert vers La Tontouta était déjà identifié comme une nécessité économique et technique.
Ces investissements, présentés comme stratégiques, se révèlent aujourd’hui être des dépenses sans cohérence avec la trajectoire à long terme de la compagnie. Des dépenses que les usagers, les contribuables et la compagnie paient encore.
Le paradoxe est brutal : ceux qui ont modelé la politique du transport aérien intérieur pendant presque deux décennies dénoncent aujourd’hui l’absence de vision… qu’ils avaient eux-mêmes la charge de définir.
Une commission d’enquête qui pourrait tout dévoiler
La commission d’enquête demandée par le groupe UC-FLNKS pourrait donc se retourner contre ses promoteurs. Elle devra examiner trois volets : la situation administrative, la situation financière et les conséquences du transfert vers La Tontouta.
Mais une autre dimension, plus politique, pourrait émerger : comment près de deux décennies de pilotage UC ont-elles pu conduire Aircal à une telle fragilité ?
La question n’est plus évitable. Et les réponses ne se limiteront pas aux seules difficultés actuelles.
Car Aircal est une compagnie stratégique. Elle garantit la continuité territoriale, l’égalité d’accès aux services publics et la structuration économique des îles. Chaque erreur de gestion se paie cash, en millions de francs, en emplois perdus, en lignes fragilisées.
Si la commission voit le jour, elle pourrait mettre au jour :
– l’absence de vision industrielle face à l’évolution de la flotte ;
– la sous-utilisation chronique des infrastructures ;
– les choix d’investissement déconnectés des réalités économiques ;
– la confusion constante entre gestion professionnelle et influence partisane.
En bref : un modèle à bout de souffle, miné par des décisions politiques court-termistes.
Aircal traverse une crise critique, mais l’entreprise n’est pas condamnée. Elle dispose d’atouts, d’équipes compétentes, d’un rôle territorial essentiel. Ce qui manque depuis trop longtemps, c’est une gouvernance responsable et une stratégie alignée sur l’intérêt collectif pas sur les équilibres internes d’un mouvement politique.
Que l’UC réclame une enquête est son droit. Mais une certitude s’impose : si une commission voit le jour, elle devra examiner aussi et surtout les vingt années de gestion UC.
Et ce jour-là, c’est peut-être toute une doctrine politique du transport aérien qui pourrait vaciller.















