Le mardi 27 novembre à 8h30, le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie examinera une série de quatorze recours déposés par l’assureur Allianz IARD. L’entreprise demande la condamnation de l’État représenté par le Haut‑commissariat de la République en Nouvelle‑Calédonie afin d’obtenir le remboursement des indemnisations versées aux sociétés sinistrées lors des émeutes de mai 2024.
Cet affrontement juridique marque la première offensive de ce type : l’assureur entame une procédure contre l’État sur le fondement que les pouvoirs publics doivent participer à la réparation des dommages lors d’émeutes ou d’attroupements violents. Du côté de l’État, c’est la question de savoir jusqu’où la responsabilité publique doit intervenir qui est posée.
Un contexte de destructions massives, un coût colossal
Les émeutes de mai 2024 ont engendré un impact économique considérable. Le gouvernement local a estimé à 113 milliards de francs CFP le coût global des sinistres, pour 3 590 sinistres enregistrés. 95 % de ce montant concernait les biens professionnels.
Sur ce total, les assurances ont déjà versé 62,3 milliards de francs CFP pour les dommages aux entreprises, représentant 81 % des sinistres traités au bout d’un an.
Dans ce contexte, Allianz estime que l’État doit prendre sa part :
la loi prévoit que les pouvoirs publics peuvent être tenus de réparer les dommages causés lors d’émeutes ou d’attroupements violents
rappelle l’assureur.
Le recours d’Allianz : objet, enjeux et entreprises concernées
L’assureur conteste le refus implicite de l’État de répondre favorablement à ses demandes préalables d’indemnisation. Dans les quatorze dossiers appelés, ce sont plusieurs sociétés sinistrées notamment Rino Distribution, Boardies Billabong Kenu et la Banque de Nouvelle‑Calédonie, qui apparaissent comme parties observatrices : elles ne réclament pas directement réparation à l’État, mais suivent la procédure car elles ont déjà été indemnisées par Allianz, qui agit désormais en leur nom.
L’enjeu est majeur : si la responsabilité de l’État est reconnue, cela pourrait ouvrir la voie à une vague de recours similaires, d’autres assureurs ayant déjà laissé entendre qu’ils pourraient engager des actions analogues. Pour l’État, c’est une épée de Damoclès : accepter un tel principe de participation pourrait peser lourd dans les finances publiques du territoire.
L’État dans la ligne de mire : quel fondement juridique ?
La base juridique de l’action d’Allianz repose sur le principe selon lequel l’État peut être tenu à réparation, même sans faute directe, lorsque l’ordre public est dépassé et que des destructions massives résultent d’émeutes. Ce principe est reconnu dans la doctrine administrative et est évoqué à propos des sinistres en Nouvelle-Calédonie.
Plus précisément, dans le cadre local, une question écrite du 8 octobre 2024 au Parlement français a porté sur la « prise en charge “émeutes” par les assurances pour la Nouvelle-Calédonie ».
Ainsi, l’action d’Allianz met l’État devant ses responsabilités : doit-il participer au remboursement des sinistres liés à la crise de mai 2024 ? Et si oui, dans quelle proportion et à quelles conditions ?
L’audience du 27 novembre devant le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie ne devra pas passer inaperçue. Elle ne concerne pas seulement l’assureur Allianz et l’État, mais potentiellement tout l’écosystème de l’assurance et de la réparation des dommages en Nouvelle-Calédonie.
Si Allianz obtient gain de cause, l’État sera amené à assumer financièrement une part non négligeable des conséquences des émeutes. Cette perspective suscite des interrogations légitimes : quel impact sur les finances publiques locales ? Quel précédent pour les assureurs ? Et surtout : qu’en sera-t-il des entreprises sinistrées qui attendent encore des indemnisations ?
Dans ce conflit, l’État apparaît comme un garant de la solidarité publique, ce rôle ne doit pas être dilué. Pourtant, face aux assureurs, il devra tenir et être ferme. Car accepter de se substituer systématiquement serait ouvrir une brèche dangereuse dans la gestion des risques publics. L’audience approche : surveillons qui paiera, et comment.














