Ils l’ont martelé sans détour : la France du Pacifique ne se renforcera que si ses territoires cessent de travailler chacun dans leur coin.
Et ce 17 novembre 2025, la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie ont décidé d’assumer cette ambition, loin du folklore politique, pour remettre l’efficacité au centre.
Une alliance assumée entre « territoires frères » pour servir la France dans le Pacifique
Ce lundi, Alcide Ponga et Moetai Brotherson ont signé un accord-cadre que beaucoup attendaient, mais que peu imaginaient voir aboutir si vite. Loin des querelles partisanes, les deux dirigeants revendiquent un travail « de continuité » mené depuis 2019. Une rareté dans le paysage politique océanien, où les alternances balaient souvent les dossiers en cours.
Pour Alcide Ponga, l’enjeu dépasse les logiques comptables : la coopération doit d’abord servir « l’intérêt de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie », bien avant toute considération de « balance commerciale ». Une manière de rappeler que les territoires français du Pacifique ne sont pas des États concurrents, mais des partenaires complémentaires au service d’une même puissance : la France.
Moetai Brotherson abonde : l’accord vise à poser les bases d’une série de conventions sectorielles appelées à structurer durablement la coopération régionale. Agriculture, numérique, santé, aéronautique, formation… L’ambition est clairement affichée : sortir d’une rivalité stérile pour construire une puissance française crédible dans le Pacifique.
Le message est limpide : Paris soutient cette dynamique. Et pour cause : la France gagne en influence lorsque ses territoires cessent de s’opposer et choisissent enfin de travailler ensemble.
Agriculture, santé, numérique : la coopération technique avant le commerce
Sur le terrain, les premières avancées sont déjà visibles. Les arrivages de viande calédonienne, saluée pour sa qualité, ont convaincu les autorités polynésiennes. La Nouvelle-Calédonie, avec ses surfaces d’élevage plus vastes, peut répondre à une demande régionale stable. À l’inverse, la Polynésie française pourra valoriser des produits identitaires tels que le taro ou le uru, qui pourraient trouver leur place sur les marchés calédoniens.
Mais ce qui séduit surtout les deux gouvernements, c’est l’échange de savoir-faire. Le président polynésien cite l’exemple de la culture de fraises calédoniennes, perfectionnée grâce au transfert de compétences de la Chambre d’agriculture calédonienne. Ce modèle inspire déjà d’autres secteurs : aquaculture, tourisme, agriculture tropicale, transformation alimentaire.
Le secteur de la santé constitue un autre axe majeur. Un projet de convention est en discussion pour partager formations, équipements et expertises, avec un objectif clair : limiter les évacuations sanitaires coûteuses vers la Métropole. La Polynésie, en pointe sur l’oncologie, pourrait accueillir des patients calédoniens ; la Nouvelle-Calédonie, forte de ses infrastructures hospitalières modernes, pourrait en accueillir d’autres.
Dans le numérique, Alcide Ponga veut clairement s’inspirer de la Polynésie : téléservices performants, gestion maritime avancée, projets d’infrastructures digitales, câble international avec Google… Autant de domaines dans lesquels le territoire polynésien affiche une longueur d’avance.
Au sein de cette dynamique, un message revient sans cesse : la coopération technique prime sur le commerce. Les échanges économiques suivront naturellement, mais la priorité est la montée en compétence et la souveraineté opérationnelle dans la région.
Connectivité aérienne, finances, emploi local : une stratégie d’influence régionale
Impossible de bâtir une coopération solide sans renforcer la connectivité aérienne. Alcide Ponga le reconnaît : la relation entre Aircalin et Air Tahiti Nui doit être réinventée. Sans créer une compagnie unique, l’objectif est clair : coordonner les flux, renforcer la desserte, éviter la dépendance aux hubs étrangers.
Les discussions portent aussi sur les réformes fiscales, la gestion budgétaire, la fonction publique ou encore l’emploi local, domaine où la Nouvelle-Calédonie possède une réglementation plus exigeante et plus structurée. La ministre polynésienne du Travail, Vannina Crolas, doit d’ailleurs se rendre à Nouméa pour approfondir ces échanges.
En aquaculture, la Nouvelle-Calédonie peut transmettre son expertise unique sur les crevettes de bassin, reconnues dans toute la région. En tourisme, la Polynésie française peut partager son modèle de rentabilité, là où le Caillou peine encore à valoriser son potentiel malgré des ambitions répétées.
L’accord-cadre, encore peu contraignant, est conçu comme un outil évolutif destiné à s’étoffer au fil des conventions sectorielles. Les signataires assument cette approche progressive : mieux vaut un texte souple, mais appliqué, qu’un grand traité oublié aussitôt signé.
Pour Brotherson, ces coopérations ne doivent pas se limiter au périmètre français : l’objectif est d’être plus compétitifs dans l’ensemble du Pacifique, face à des États et des acteurs privés qui avancent vite.
Alcide Ponga l’a résumé avec franchise : la France du Pacifique n’a plus le luxe d’attendre.
(Crédit photo : Présidence de la Polynésie Française)
























