La décision est historique : l’UPM rompt avec le FLNKS au moment même où la Nouvelle-Calédonie affronte une crise politique et économique majeure. À la manœuvre, Victor Tutugoro, dirigeant historique du mouvement indépendantiste, réélu à la tête de l’UPM tout en annonçant son dernier mandat. Entre accord de Bougival, restructuration du camp indépendantiste et urgence de relancer la filière nickel, il assume un tournant : sortir d’une logique de confrontation pour tenter de construire un nouvel outil politique, l’UNI, capable de porter un projet d’État pour la Nouvelle-Calédonie.
Relancer le nickel pour éviter l’effondrement économique
Avant même les querelles de sigles, une préoccupation domine : la situation économique jugée catastrophique du territoire. Pour Victor Tutugoro, la priorité est claire : la relance de la filière nickel n’est plus une option mais une condition de survie du pays.
Il met en avant le rôle central du nickel comme première ressource naturelle du territoire, en particulier dans le contexte mondial de développement des voitures électriques et des technologies nécessitant ce métal. Les trois usines calédoniennes, et notamment celles du Nord et du Sud, sont vues comme des outils contemporains à préserver et à remettre en marche, avec un modèle d’usine « au pied du massif » considéré comme adapté aux exigences actuelles.
Dans son analyse, l’usine du Nord n’est pas seulement un outil industriel mais un instrument de rééquilibrage économique : elle a commencé à structurer une économie locale spécifique, dont l’arrêt a stoppé l’élan. Le minerai est toujours là, les opérateurs existent encore, mais la trésorerie fait défaut et la confiance s’érode. Pour lui, il faut renouer avec une dynamique technique, industrielle et politique autour de cet outil, afin d’en refaire un levier de développement et non un symbole d’échec.
Bougival au cœur de la rupture avec le FLNKS
Le départ de l’UPM du FLNKS ne relève pas d’un simple réflexe d’alignement sur d’autres composantes, mais d’une divergence profonde autour de l’accord de Bougival et de la stratégie politique à adopter.
L’UPM est signataire de l’accord, en son sein de l’Union nationale, et en assure aujourd’hui la promotion. À l’inverse, le FLNKS « nouvelle formule » s’y oppose frontalement. Pour Victor Tutugoro, il n’était plus possible de rester dans un mouvement qui rejette un accord que son propre parti défend comme base d’un compromis historique : la création d’un État de Nouvelle-Calédonie au sein de la République française, avec la perspective, à terme, d’un statut international négocié.
Il insiste sur une différence de philosophie : à ses yeux, Bougival ouvre un chemin pour construire ensemble et non plus les uns contre les autres, là où le FLNKS actuel est perçu comme enfermé dans une logique d’intolérance et de priorisation identitaire. Là où les années 1980 visaient à faire reconnaître l’identité kanak tout en construisant le pays avec les autres populations, le discours entendu aujourd’hui dans certains secteurs du front lui apparaît comme un repli, en décalage avec l’esprit de 1984 et de Nainville-les-Roches..
De la maison brûlée à la décision de passer la main
Derrière la stratégie, il y a aussi un parcours personnel. Victor Tutugoro a été porte-parole du FLNKS pendant plusieurs années, figure centrale des relations extérieures du front et acteur de la période des accords. Quitter le FLNKS ne se fait pas sans douleur pour quelqu’un qui a vu naître et grandir cette organisation.
Il explique par ailleurs qu’il a choisi d’annoncer son dernier mandat à la tête de l’UPM pour plusieurs raisons. D’abord, par souci de laisser la place à la relève et de ne pas s’accrocher à la fonction. Ensuite, parce que son propre vécu a été directement touché par la crise récente : sa maison a été brûlée pendant les événements, un choc personnel qui l’amène à douter de sa totale capacité à garder une analyse froide et distanciée.
L’UNI, nouvelle maison politique pour porter Bougival
Jusqu’ici, l’UNI fonctionnait surtout comme une étiquette électorale regroupant plusieurs composantes, dont l’UPM et le Palika, présentes dans les institutions. La feuille de route est désormais claire : une réunion programmée début décembre doit permettre de doter l’UNI d’une direction politique identifiée, d’une organisation locale par communes et d’une structure capable de peser à la fois en interne et à l’extérieur, dans la région comme en France.
L’UPM considère qu’il faut un outil commun pour porter Bougival, coordonner les campagnes et offrir une alternative lisible au FLNKS. L’UNI est appelée à devenir ce véhicule, tout en laissant subsister les partis existants en son sein, comme cela avait été le cas à l’époque du FLNKS.
Au-delà du cadre interne, l’objectif est aussi de réactiver les réseaux extérieurs : contacts avec différents partis français, y compris à gauche et à droite, et ancrage régional via des organisations mélanésiennes et indépendantistes dans le Pacifique. L’ambition est de s’installer comme un interlocuteur identifié, à Paris comme dans la région, sur la question calédonienne.
Consultation locale, calendrier politique et rapport de force
Le chantier institutionnel ne se jouera pas uniquement dans les réunions de parti. Une consultation locale des citoyens est envisagée pour trancher l’avenir de l’accord de Bougival. L’idée, soutenue par Victor Tutugoro, est de faire valider d’abord le texte sur le territoire, avant que le Parlement français n’aille au bout de la loi constitutionnelle.
Cette consultation reposerait sur le texte signé le 12 juillet et publié au Journal officiel. Des discussions sont toutefois en cours pour tenter d’intégrer certaines améliorations, notamment en réponse aux critiques formulées par le nouveau FLNKS, le Sénat coutumier ou d’autres organisations. L’objectif serait d’élargir l’adhésion à l’accord, sans en briser l’équilibre.
Pour l’UPM et ses alliés, l’enjeu est double : si la population valide Bougival, les forces politiques opposées devront se réorganiser dans un cadre acté. Si, au contraire, la population rejette l’accord, ce sont les promoteurs du texte qui devront revoir leur copie et leur stratégie. Dans les deux cas, la parole citoyenne est placée au centre, avec l’idée que le FLNKS ne peut bloquer indéfiniment l’évolution du pays.
De l’État dans la République à la souveraineté partagée
La vision portée par Victor Tutugoro ne s’arrête pas à la mise en place d’un État de Nouvelle-Calédonie dans la République française. Il envisage cette étape comme un palier vers un statut international, dans un horizon de une à deux décennies, le temps de construire une maturité politique suffisante entre les différentes composantes de la population.
Dans cette perspective, la souveraineté n’est pas pensée comme une rupture brutale, mais comme la capacité du pays à choisir ses interdépendances : avec la France, avec la région, avec le reste du monde. L’important, pour lui, est d’éviter de reproduire les limites de l’accord de Nouméa, dont les potentialités n’auraient pas été pleinement utilisées, laissant le pays retomber dans ses clivages une fois le processus arrivé à son terme.
Bougival, à ses yeux, doit permettre d’organiser autrement le vivre-ensemble, en tirant les leçons des dernières décennies pour éviter de retrouver, dans vingt ans, les mêmes blocages. Cette vision implique des ajustements futurs, notamment sur les modalités de transfert des compétences régaliennes, que l’UPM souhaite articuler avec le droit à l’émancipation sans casser l’équilibre fragile déjà trouvé.
Municipales, provinciales et recomposition du camp indépendantiste
En toile de fond, se dessine déjà le calendrier électoral de 2026, avec les municipales puis les provinciales. L’UPM veut profiter de ce moment pour ancrer l’UNI dans le paysage, en privilégiant des listes d’Union nationale en Province Nord, Province Sud et Province des Îles, autour de ceux qui ont signé Bougival.
Au niveau communal, la logique pourrait être plus souple, tenant compte des réalités locales et communautaires. Mais pour les provinces, l’objectif est clairement d’apparaître comme un bloc cohérent, avec la volonté affichée de conserver la Province Nord et de devenir davantage représentatif en Province Sud et aux Îles.
Un pari risqué mais structuré
Rien ne garantit le succès de cette trajectoire, mais une chose est sûre : la décision de l’UPM de quitter le FLNKS, combinée à la crise interne du front, ouvre une nouvelle phase politique en Nouvelle-Calédonie. Reste à savoir si ce choix sera perçu comme une trahison, une clarification ou la base d’un nouveau compromis historique.



















