Fille maudite d’Henri VIII, elle devint pourtant l’icône d’un royaume en marche vers la grandeur. Élisabeth Iʳᵉ incarne le sursaut national et la puissance retrouvée.
Une enfance marquée par le sang et la disgrâce
Née le 7 septembre 1533 à Greenwich, Élisabeth est considérée comme illégitime aux yeux de Rome, fruit de l’union scandaleuse d’Henri VIII et Anne Boleyn. Trois ans plus tard, sa mère est décapitée, victime des intrigues de cour et de la cruauté du roi. Dès lors, l’enfant est reléguée dans l’ombre, jugée fragile et suspecte aux yeux de la cour. Mais c’est dans cette adversité que se forge son caractère. Dotée d’une éducation humaniste remarquable, parlant couramment plusieurs langues, la jeune princesse fait montre d’une intelligence politique rare.
Quand son demi-frère Édouard VI meurt prématurément, puis que sa demi-sœur Marie Tudor échoue à imposer son catholicisme par la terreur, l’histoire s’ouvre enfin à elle. En 1558, à 25 ans, Élisabeth monte sur le trône. L’Angleterre s’apprête à entrer dans un âge d’or.
L’art de gouverner : autorité, pragmatisme et culte de la nation
Élisabeth n’est pas une souveraine hésitante : elle impose le rite anglican, avec le monarque pour chef suprême de l’Église d’Angleterre, rompant définitivement avec Rome. Elle refuse les mariages imposés par les grandes puissances, préférant demeurer la « Reine Vierge », garante de l’indépendance nationale. Sa réponse à la Chambre des communes en 1559 résonne encore :
Qu’une plaque de marbre déclare qu’une reine régna longtemps, vécut et mourut vierge, cela me suffira.
Elle s’entoure d’hommes de valeur, William Cecil, Francis Walsingham, Walter Raleigh et bien sûr le flamboyant Francis Drake, corsaire qui humilia l’Espagne catholique de Philippe II. La victoire contre l’Invincible Armada en 1588 consacre son génie politique : à jamais la mer devient le bouclier et l’arme de l’Angleterre. C’est aussi l’époque des grandes compagnies commerciales, de Moscovie aux Indes orientales, prémices de l’Empire britannique.
Un héritage impérial et culturel inégalé
Le règne d’Élisabeth est un paradoxe : l’Angleterre traverse une grave inflation, des tensions sociales, une pauvreté massive. Mais la reine maîtrise l’instabilité en adoptant des Poor Laws et en achetant la loyauté des élites. Son autorité personnelle compense partiellement les failles de l’économie.
Sur le plan culturel, l’époque élisabéthaine brille : Shakespeare, Marlowe, le portrait d’apparat, les fêtes fastueuses bâtissent une véritable propagande royale. Plus qu’une reine, Élisabeth est une image, un mythe politique.
Lorsqu’elle s’éteint le 24 mars 1603 à Richmond, sans héritier, son cousin Jacques VI d’Écosse hérite du trône et devient Jacques Ier d’Angleterre, premier roi de Grande-Bretagne. Mais le jugement de l’histoire est déjà scellé : depuis Guillaume le Conquérant, aucun souverain n’aura marqué aussi profondément la destinée anglaise.