Une bataille politique et budgétaire d’une rare intensité. Ce jeudi 18 septembre 2025, l’Assemblée de la Polynésie française s’apprête à ouvrir sa session budgétaire dans une tension palpable.
Une réforme choc de la défiscalisation locale
Dès son intervention liminaire, Moetai Brotherson veut marquer les esprits. Le président du gouvernement du fenua ne cache pas son objectif : remettre de l’ordre dans une fiscalité éclatée et devenue illisible. Le projet de loi du pays soumis aux représentants supprime la lourde procédure d’appel à manifestation d’intérêt (AMI). Jugée coûteuse et chronophage, elle sera remplacée par une planification triennale claire, fixant les secteurs prioritaires d’investissement : tourisme, secteur primaire, transport maritime.
Cette réforme n’est pas qu’une question technique. Elle traduit une volonté politique ferme : offrir plus de visibilité aux investisseurs, réduire l’arbitraire administratif et replacer l’économie réelle au cœur du dispositif. Pour les entrepreneurs, c’est un signal fort : moins de paperasse, plus de lisibilité, et un contrôle budgétaire renforcé.
Mais au fenua, l’heure n’est plus à la victimisation : il s’agit de relancer une économie affaiblie.
Soutenir la construction navale et la recherche marine
Le texte contient une autre mesure emblématique : l’exonération des droits et taxes à l’importation sur les matériaux et équipements nécessaires à la construction locale de navires destinés à la recherche scientifique marine.
Officiellement, il s’agit de soutenir la filière navale et d’attirer sur le territoire des projets scientifiques d’envergure, notamment dans la vaste zone économique exclusive polynésienne. Concrètement, cela signifie moins de coûts pour les chantiers et plus de compétitivité pour l’industrie locale. Respect des délais de construction, durée minimale d’exploitation des navires (25 ans), signature de conventions avec le Pays. En cas de manquement, les exonérations seront purement et simplement retirées.
Une ligne claire, conforme à une logique de responsabilisation des acteurs économiques : la collectivité aide, mais exige en retour des engagements solides. Là encore, la majorité entend rompre avec une culture d’assistanat pour replacer l’effort productif au cœur du pacte fiscal. Les retombées sont attendues sur l’emploi, l’innovation et le rayonnement maritime de la Polynésie.
La remise gracieuse : un geste pragmatique mais encadré
Troisième pilier du projet : la possibilité d’accorder une remise gracieuse partielle des droits d’enregistrement et de publicité foncière, ainsi que de certaines taxes. Cette mesure exceptionnelle répond à un vide juridique causé par l’annulation, en 2024, d’un précédent article de loi du pays. Conséquence : certains contribuables, particuliers comme entreprises, se sont retrouvés avec des rappels d’impôts injustifiés.
L’exécutif choisit donc d’appliquer une règle de bon sens : permettre, au cas par cas, une remise si la situation financière le justifie. Mais attention : il ne s’agit pas d’un chèque en blanc. Les dossiers seront examinés avec rigueur, à partir des relevés bancaires, de la situation familiale ou de l’état de santé. Un geste socialement responsable, mais limité, qui évite de transformer l’exception en droit permanent.
Cette approche pragmatique, loin des discours de victimisation, reflète une philosophie politique assumée : alléger quand c’est juste, mais ne pas ouvrir la porte aux abus. La Polynésie française trace ainsi sa propre voie fiscale, adaptée à ses réalités, sans céder aux excès idéologiques.
Ce « pack fiscal » n’est qu’un début. Le ministère des Finances a déjà annoncé pour la fin de l’année des réformes de fond : régime des produits de première nécessité (PPN), taxe de développement local (TDL), fiscalité hôtelière, TVA à 1 % pour les îles, fin des régimes avantageux des SCI. Une véritable refonte en profondeur de la fiscalité du fenua s’annonce.
Derrière les débats techniques, l’enjeu est clair : basculement de la pression fiscale, rationalisation des niches, et recentrage sur des recettes durables. Pour Brotherson, il s’agit d’affirmer son autorité et de prouver que la Polynésie peut se gouverner avec rigueur et ambition, sans sombrer dans le laxisme.
Le Tarahoi devra trancher ce jeudi, dans une séance qui promet d’être houleuse et décisive. Mais une chose est sûre : le temps des réformes fiscales cosmétiques est terminé. La Polynésie française entre dans une nouvelle ère, où le courage politique devra s’imposer comme la condition de la survie économique.