Depuis les révélations de « L’Incorrect », les dirigeants de l’audiovisuel public s’emploient à minimiser l’affaire Legrand-Cohen. Pire, dans un contre-récit qui frôle le révisionnisme, ils s’attaquent désormais avec virulence et mauvaise foi à tous ceux qui interrogent la neutralité de Radio France et France Télévisions.

Dans la série Baron noir, il campe Michel Vidal, un double de Jean-Luc Mélenchon. À l’écouter sur France Inter, ce n’est visiblement pas, pour François Morel, un rôle de composition. L’acteur – faut-il encore le considérer comme humoriste ? – y a micro ouvert. Vendredi dernier, une semaine après les révélations du magazine L’Incorrect, il vole au secours de Thomas Legrand et Patrick Cohen. Après avoir copieusement insulté les journalistes de L’Incorrect, les traitant de « fils de p… » et d’« enculés », François Morel conclut son billet d’un « ce qui me désole, c’est que désormais pour avoir une conversation normale, il faudra systématiquement trouver des endroits de repli à l’abri des micros et des caméras totalitaires ».
Une « conversation normale » ? Thomas Legrand assume, devant deux éléphanteaux du PS, de « faire ce qu’il faut avec Patrick » pour empêcher que Rachida Dati ne devienne la prochaine maire de Paris. Bref, d’enrôler la radio publique dans une campagne politique, avec l’argent du contribuable. Une « conversation normale » ? Thomas Legrand assure, sans que Patrick Cohen le démente, qu’en cas de second tour Marine Le Pen / Raphaël Glucksmann, ils sauront influencer « le marais du centre gauche et du centre droit » parce qu’ils écoutent « en masse France Inter ».
Circulez, il n’y a rien à voir
Cet aveu – ou plus exactement le tollé médiatico-politique qu’il a déclenché – lui a valu d’être suspendu par la direction d’Inter à titre conservatoire. Au rugby, on parlerait d’un carton jaune. D’une exclusion temporaire. Et si l’éditorialiste a renoncé de lui-même à son émission dominicale, Thomas Legrand a déjà fait son retour sur « [sa] radio », comme il le dit drôlement, suggérant qu’il a, avec quelques autres, comme privatisé l’audiovisuel public. Sa suspension n’était qu’une manière de circonscrire l’incendie. Céline Pigalle ne dit pas autre chose. Aux Échos samedi, la directrice de l’information de Radio France assure que cette suspension n’est « pas une sanction ». Seulement une manière de préserver la sérénité des antennes, jusqu’à ce que la poussière retombe et que les affaires reprennent comme s’il ne s’était rien passé.
Concéder qu’il s’agirait d’une sanction consécutive à une faute reviendrait à accréditer qu’il y a bien un scandale Legrand-Cohen. Alors Céline Pigalle s’emploie à jouer les démineuses pour préserver l’image déjà bien écornée d’une radio publique neutre et indépendante. « Nous ne sommes au service de personne », jure-t-elle. Quant à Patrick Cohen, qui officie dans la matinale de France Inter et le soir sur France 5 ? Le comité d’éthique de France Télévisions a blanchi le journaliste de « C à vous ». Dans les vidéos diffusées par L’Incorrect, Patrick Cohen « garde le silence », notent-ils. Circulez, il n’y a rien à voir. « Rien ne permet donc d’affirmer, au vu de cette séquence, que Patrick Cohen ait d’autres objectifs que l’exercice de son métier. »
Pas de complot. Nous sommes tenus de les croire sur parole. En revanche, ce qui est problématique, aux yeux de ce comité des sages, c’est l’usage de vidéos volées : « Un procédé illégal que rien, en l’espèce, ne saurait justifier. » Comme on aimerait que ce comité se montre aussi à cheval sur la déontologie pour certaines émissions diffusées sur France Télévisions. Il n’en est bien évidemment rien. Pire, toute la machine de l’audiovisuel public semble s’être mise en branle pour donner l’illusion qu’il n’y a pas d’affaire LegrandCohen. Après avoir tenté de discréditer le magazine à l’origine de ces révélations accablantes, voilà que les plus hauts dirigeants de Radio France et de France TV expliquent qu’ils sont victimes d’une cabale médiatique orchestrée par Europe 1 et CNews. C’est ce que Sybile Veil, la patronne de Radio France, explique à Laurent Lafon dans un courrier qu’elle a adressé au président de la commission culture du Sénat.
Elle pointe « des campagnes, souvent amplifiées par des médias concurrents ». Vincent Meslet, le directeur éditorial de Radio France, va plus loin encore dans un entretien accordé au Parisien. Il part tout bonnement en croisade contre ceux qui ne pensent pas comme lui. Regrettant seulement que Thomas Legrand « ait involontairement fait un cadeau à [leurs] pires adversaires », il tire à boulets rouges sur les médias de la galaxie Bolloré. Nous aurions fait, puisque c’est de nous qu’il s’agit, d’une maladresse un scandale. Et de conclure sa diatribe complotiste en expliquant que notre groupe serait « la négation du métier de journaliste puisqu’il considère que faire du journalisme, c’est faire de la politique ».
Être de gauche, un totem d’immunité
Lui, bien sûr, n’en ferait pas. Le directeur éditorial de Radio France a la mémoire courte. Dans un portrait que lui consacrait Libération en 2015, le jeune homme ne faisait pas mystère de ce qui l’avait décidé à choisir le journalisme pour métier. « Bien que passionné par la politique, il se dit que pour changer la société, il vaut mieux travailler à la télé qu’être élu », écrit son portraitiste. Et Vincent Meslet d’assumer qu’il a toujours voté socialiste. « Sauf une fois écolo. » Imaginez une seconde qu’il ait admis avoir toujours voté RN, sauf une fois Zemmour… Le directeur éditorial de Radio France aurait été débarqué de la maison ronde avec du goudron et des plumes avant même d’avoir terminé sa phrase.
Être socialiste, de gauche, à l’inverse, vous assure une sorte de totem d’immunité en même temps qu’un brevet de moralité. L’Arcom a bien été saisie. Elle a convoqué cette semaine les dirigeants de l’audiovisuel public. Mais qu’attendre de l’autorité de régulation ? Qu’attendre de Martin Ajdari, son président ? Il est passé par la direction de France Télévisions, a fait une partie de sa carrière dans des cabinets de ministres socialistes. Faut-il qu’il se déporte ? Ou mieux, qu’il fasse la démonstration de son indépendance en s’attaquant enfin aux intouchables de l’audiovisuel public, avant que la commission d’enquête parlementaire voulue par Éric Ciotti n’enquête sur la neutralité de Radio France et France Télévisions ?
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