Condamné à cinq ans de prison, Nicolas Sarkozy dénonce une décision qui « viole l’État de droit ». Dans un entretien exclusif au JDD, l’ancien président assume la riposte et promet de se battre jusqu’au bout pour faire reconnaître son innocence.

Le lendemain de la déflagration du verdict, Nicolas Sarkozy est parti courir, comme chaque jour, mais un peu plus tôt qu’à l’ordinaire. À peine sorti de l’impasse où il vit avec son épouse et sa fille, un premier passant l’arrête pour lui témoigner son soutien et son incompréhension face à une justice « injuste ». Dix mètres plus loin, nouvel encouragement, puis un autre, et un autre. Certains automobilistes s’arrêtent en pleine rue pour le saluer et critiquer, parfois vertement, cette justice censée être rendue au nom du peuple français, mais dans laquelle ils ne se reconnaissent plus. Nicolas Sarkozy mesure alors que ce qui le frappe dépasse son seul sort personnel : c’est l’État de droit, pilier de la République, qui vacille.
Comme souvent avec lui, l’adversité et la violence qu’on lui oppose ne semblent pas l’atteindre – du moins l’affirme-t-il. Lorsqu’il nous reçoit ce vendredi après-midi, c’est un « Sarko », le buste vertical, les épaules hautes et le regard bleu acier qui vous happe littéralement lorsque vous le croisez. L’effet de souffle de sa force et de sa détermination se ressent physiquement lorsque l’on démarre l’interview. Au-dessus de lui, sur le mur, une grande photo en noir et blanc du père de famille entouré de ses trois fils et de sa fille. S’il assure que les juges ne l’affectent pas, il confie sa peine pour l’épreuve infligée à ses proches. Est-il animé d’un sentiment de vengeance ? En aucun cas. Mais à l’image d’Edmond Dantès, le comte de Monte-Cristo de Dumas, banni et emprisonné sur la foi d’un faux, Nicolas Sarkozy se prépare à mener un combat parsemé d’épreuves. Certaines seront pénibles, un combat au long cours, sur plusieurs années. Il n’abandonnera pas tant que ne seront pas reconnues son innocence et son honnêteté.
Le JDD. Au lendemain du verdict, dans quel état d’esprit êtes-vous ?
Nicolas Sarkozy. Je suis serein. Parce qu’aussi paradoxal que cela puisse paraître, ce délibéré, derrière une condamnation aussi injuste qu’infamante, prouve surtout que toute l’accusation s’est effondrée. Il confirme, comme je le dis depuis 12 ans, qu’il n’y a jamais eu un centime d’argent libyen dans ma campagne. Depuis 12 ans, on nous rabâche « l’affaire du financement libyen de la campagne Sarkozy ». C’est maintenant reconnu, ce n’était en réalité qu’une fable, un mensonge, une calomnie. Des pans entiers de l’accusation se sont écroulés : il n’y a plus de « pacte de corruption » avec Kadhafi, il n’y a plus d’argent libyen dans ma campagne. Ce n’est pas rien.
« Je suis donc condamné parce que le tribunal estime possible, sans pouvoir à aucun moment le prouver »
Je maintiens depuis 12 ans que le document publié par Mediapart et qui a déclenché l’affaire, est un faux. La procédure judiciaire a débuté sur la foi de ce document. Or que conclut le tribunal correctionnel de Paris ? Que « le plus probable est que ce document Mediapart soit un faux ». Or s’il y a un faux, c’est qu’il y a eu des faussaires, des manipulateurs et donc un complot. Dans un monde normal, c’est l’ensemble de l’accusation qui aurait dû s’écrouler. Or le tribunal a fait exactement le contraire. Je rappelle que j’ai perdu la présidentielle de 2012 de très peu. Le faux de Mediapart y a joué un grand rôle. Qui réparera cette injustice ?
Ce qui frappe par ailleurs, c’est l’ampleur des moyens déployés durant ces douze années par les juges d’instruction et le parquet pour tenter à tout prix d’établir ma culpabilité. Une cinquantaine de commissions rogatoires internationales, des centaines d’audition, de gardes à vue, de perquisitions, neuf mois d’écoutes téléphoniques d’un ancien président, le contrôle approfondi du patrimoine de mes enfants, de mon épouse, de la succession de ma mère, de mon patrimoine bien sûr. Ma campagne présidentielle de 2007 a été passée au crible par deux juges d’instruction différents. Une première fois dans l’affaire Bettencourt, une seconde fois dans ce dossier, pour aboutir à la conclusion qu’il n’y a pas un centime d’argent libyen dans mes comptes de campagne, et pas le moindre enrichissement personnel.
Ce jugement, c’est en réalité l’effondrement de la quasi-totalité de l’accusation. Que reste-t-il ? Une soi-disant « association de malfaiteurs », rajoutée in extremis par les juges d’instruction à la toute fin de l’enquête, lorsqu’ils ont pris conscience que leur dossier était plus que fragile. Et même cette soi-disant « association de malfaiteurs » ne tient pas, car elle repose sur une simple hypothèse du tribunal, qui n’est étayée par aucun début de commencement de preuve. En résumé, le tribunal dit : c’est vrai qu’il n’y a jamais eu d’argent libyen dans votre campagne, mais rien ne nous dit que vos deux collaborateurs ne l’ont pas demandé… ou même simplement songé à le demander ! Et dans ce cas, vous ne pouviez pas l’ignorer. Je suis donc condamné parce que le tribunal estime possible, sans pouvoir à aucun moment le prouver, que j’aurais pu laisser deux de mes collaborateurs envisager d’obtenir un financement illégal, c’est-à-dire commettre deux délits pour lesquels, par ailleurs, je suis relaxé ! C’est incohérent et contraire au simple bon sens.
Je suis innocent. Et je ne cesserai le combat que lorsque j’aurai obtenu la vérité, c’est-à-dire la reconnaissance de mon honnêteté.
Le tribunal vous innocente sur plusieurs points, mais le verdict, contre toute attente, vous condamne lourdement. Vous attendiez-vous à un tel coup de théâtre ?
Depuis 12 ans, dans ce dossier, j’ai appris à m’attendre à tout. J’ai vécu deux jours de garde à vue, une fouille méthodique de tous les domaines de ma vie, j’ai dû subir plus de 250 heures d’interrogatoire. Au cours de cette épreuve, j’ai été confronté à la mauvaise foi, au mensonge, au mépris de mes droits. Donc, je m’attendais à tout.
« La seule chose qui peut m’affecter, c’est la souffrance que ma famille et mes amis ressentent »
Y compris à l’exécution provisoire, qui vous envoie en prison alors même que l’appel n’a pas encore été jugé ?
Je m’attendais à tout, mais pas à cela, je le reconnais. C’est allé encore plus loin que ce que je pouvais imaginer. Toutes les limites de l’État de droit ont été violées. C’est tellement invraisemblable. Même dans ses réquisitions pourtant violentes, le PNF ne l’avait pas demandé ! Pour cette raison d’ailleurs, mes avocats n’ont pas pu plaider contre cette sanction extraordinaire. L’exécution provisoire est une mesure exceptionnelle, qui ne peut être prononcée que par une décision « spéciale et motivée » lorsque les faits particuliers du dossier l’exigent. Rien ne justifiait de la prononcer à mon encontre. Les magistrats invoquent « le risque de troubles à l’ordre public ». Sur la base de quels éléments ?
Les faits datent d’il y a 20 ans, j’ai été relaxé de 3 des 4 infractions qu’on me reprochait. Je me suis rendu à toutes les audiences du tribunal auxquelles j’étais convoqué. J’ai consciencieusement répondu à la barre pendant plus de 30 heures. Je n’ai insulté personne, je n’ai provoqué personne. De trouble à l’ordre public il n’y a jamais eu. Le risque de réitération du délit ? À ma connaissance, je n’ai pas fait acte de candidature à la prochaine élection présidentielle, je les rassure si c’est cela qu’ils craignent. La gravité exceptionnelle ? Le tribunal a reconnu qu’il n’y avait aucun argent libyen dans ma campagne comme dans mon patrimoine. Quant au risque de fuite… Suis-je un homme qui fuit ? Qui aurait l’idée d’abandonner sa femme, ses enfants, sa maison, ses compatriotes, mon pays que j’ai servi et que j’aime tant ? S’ils veulent mon passeport, qu’ils le prennent. Aucun élément ne justifiait l’exécution provisoire. Il y a juste la volonté d’humiliation. Si je dois dormir en prison, je dormirai en prison, mais je ne reconnaîtrai jamais quelque chose que je n’ai pas fait. L’injustice, l’incohérence, la partialité à ce point sont tellement caricaturales que dans la presse du monde entier, vous avez des articles qui expliquent que la France est devenue un pays dans lequel le citoyen peut avoir peur de la justice de son pays. Ce n’est pas moi qui suis humilié mais la France par ces pratiques si contraires à l’État de droit.
Peut-on facilement reprendre le cours de sa vie après un tel choc ?
Je ne cherche à apitoyer personne. Pas plus que je ne vais modifier mon emploi du temps ou ma façon de vivre. J’irai cette semaine, comme je le fais chaque année, visité le service pédiatrique de l’Institut Gustave Roussy à Villejuif pour soutenir l’action du personnel médical et ces familles touchées par le cancer. Je ne suis pas à plaindre. Je connais tant de Français percutés par la maladie, par des drames tellement plus insupportables que ce qui m’arrive. J’ai les pieds sur terre, je sais que ma vie a été jalonnée de beaucoup de chance et de bonheur. Je ne peux recevoir ceci tout en refusant les épreuves aussi injustes soient-elles.
Est-ce une façon de dire aux juges : « Vous ne m’atteindrez pas, je ne suis pas affecté » ?
La seule chose qui peut m’affecter, c’est la souffrance que ma famille et mes amis ressentent.
Ils étaient présents, hier, à vos côtés.
Je sentais leur présence dans la salle d’audience. Nous n’avions pas besoin de nous parler pour nous comprendre. Ils savent qu’ils sont ma force. Je les aime tant et les admire car ils subissent tout cela avec beaucoup de dignité et de courage. Ça me peine pour eux parce que je ne veux pas imposer à Carla, à mes fils et à ma fille toute cette épreuve. Pour le reste, non. Je ne suis pas affecté. Chacun doit bien comprendre qu’il n’a pas le pouvoir de me faire baisser les yeux. La honte est pour celui qui se prête à une telle injustice, non pour moi qui ai la conscience parfaitement tranquille.
Cela signifie qu’il ne vous reste qu’à tenir, à encaisser ?
Au terme de 12 ans de procédure, j’ai demandé à mes conseils de voir comment, par un recours à la CADA (Commission d’accès aux documents administratifs), il serait possible d’accéder au dossier qui révélera aux Français, aux contribuables, le montant des sommes qui ont été dépensées pour découvrir qu’il n’y a aucune trace d’argent libyen. Je crains que cela se compte en millions d’euros et sans doute bien davantage. Que les Français jugent. Suis-je à ce point un ennemi public qui justifie que l’on mobilise autant de moyens et d’argent ? Suis-je à ce point dangereux qu’il faille me mettre au plus vite en détention ? Rendez-vous compte que la semaine au cours de laquelle les agresseurs d’un policier à Tourcoing sont libérés, deux semaines après avoir agressé des fonctionnaires de police, le tribunal correctionnel de Paris me condamne à cinq ans d’emprisonnement.
Vous disiez ne rien vouloir changer à votre façon de vivre : rien n’a changé ?
Oui et non car cela m’a fait, hélas, revenir au cœur de l’actualité. Tôt ce vendredi je suis parti faire mon jogging quotidien. J’ai été interpellé une soixantaine de fois. Des voitures s’arrêtaient, des gens me lançaient : « c’est insensé ! », « on a honte de ce qui se passe ! ». Avant de vous rejoindre, je déjeunais au restaurant avec mon épouse et ma fille – ma fille n’est pas allée à l’école aujourd’hui, pour les raisons que vous pouvez imaginer -, lorsque je suis sorti du restaurant, la salle s’est levée et m’a applaudi. Donc, je vois bien que la sidération étreint tout un chacun, bien au-delà des clivages politiques. Beaucoup de gens ont peur de ces excès, de l’injustice, de cette ambiance de règlements de compte. Saint-Just, le bien mal nommé, est de retour. Il disait : « Prouvez votre vertu, ou entrez dans les prisons ».
Vous affichez combativité et détermination : à aucun moment vous ne redoutez l’épreuve de l’incarcération ?
Je ne redoute rien. C’est la vie. On ne peut pas être heureux dans les hauts et refuser les bas. Je suis persuadé que je finirai par gagner. Cela prendra le temps qu’il faut. Mais je ne plierai pas face au mensonge, au complot et à l’insulte. On peut m’incarcérer, mais on ne pourra jamais me faire mettre à genoux.
« Mais mon combat n’est pas un combat contre Mediapart, dont je me moque »
Voyez-vous dans cette sentence une forme de vengeance des juges ? Un acharnement ? François Mitterrand disait : « Les juges ont tué la monarchie, ils abattront la République. » Est-ce ce qui se joue aujourd’hui ?
N’étant pas de gauche, je n’ai pas la même liberté. François Mitterrand pouvait dire cela, pouvait même le penser sans qu’on le compare à un dictateur. François Hollande confiait dans un livre : « Cette institution, qui est une institution de lâcheté… Parce que c’est quand même ça, tous ces procureurs, tous ces hauts magistrats, on se planque, on joue les vertueux… On n’aime pas le politique. La justice n’aime pas le politique ». Je n’ai jamais bénéficié de la même indulgence. Pour en revenir à votre question, je ne saurais vous dire. Est-ce du corporatisme ? Parce qu’il faut justifier les 10 années perdues par l’enquête ? Est-ce de l’acharnement ? Ce n’est pas à moi de le qualifier. Mes avocats avaient demandé au tribunal qu’il ait le courage de désavouer les magistrats qui m’ont poursuivi pendant douze ans. Ils n’ont été que partiellement entendus. Est-ce que c’est de la politique ?
Si je l’affirmais, je leur donnerais raison en entrant dans la bataille. Or le combat que je mène est un combat pour l’État de droit, au-delà de tous clivages politiques. Le tribunal correctionnel n’était pas compétent pour juger des actes commis alors que j’étais ministre de l’Intérieur. Le tribunal a décidé de contourner la compétence de la Cour de justice de la République pour avoir le loisir de me juger. Je voudrais aussi rappeler que le tribunal de Paris qui m’a condamné, déclarait il y a un an : « En l’absence de toute preuve, une juridiction pénale de jugement ne saurait, sans méconnaître le principe de la présomption d’innocence, déduire la culpabilité d’un prévenu d’une hypothèse, fut-elle vraisemblable. » C’était l’affaire des assistants parlementaires du MoDem. À ce titre le même tribunal, il y a un an, justifiait de ne pas condamner Monsieur Bayrou, président du parti, sur une simple hypothèse non démontrée. Cette jurisprudence de bon sens devait s’appliquer à moi. Le tribunal correctionnel a décidé le contraire. Comment ne puis-je pas penser qu’un traitement spécial m’est réservé ?
Une partie des Français reprochent aux politiques d’exiger la plus grande sévérité judiciaire, mais de crier à l’injustice lorsqu’ils sont eux-mêmes confrontés à cette fermeté. Que leur répondez-vous ?
En matière de justice, on réclame d’abord le respect du droit et la cohérence. Bâtir une accusation sur un faux, ce n’est pas du droit. Appliquer pour ce qui m’est prétendument reproché une peine d’une telle lourdeur, au mépris de ce qui a été décidé dans l’affaire Bayrou et au regard des peines moins sévères qui sont régulièrement appliquées pour des faits gravissimes, par exemple pour des violences physiques, ce n’est pas de la cohérence. J’ajoute que s’il était prouvé au terme de ce dossier que la campagne électorale qui a conduit à mon élection à la présidence de la République avait été faussée ou encore que je m’étais enrichi personnellement, je comprendrais parfaitement qu’on applique une peine sévère. Mais c’est tout le contraire, le tribunal a écarté tout financement illégal de ma campagne de 2007. Et la présidente m’a dit droit dans les yeux : « Vous n’avez pas accru votre fortune personnelle à la suite de cette affaire. » Dans ce dossier, 70 pages sont consacrées à mon patrimoine, à mes impôts. Conclusion : « Rien, dans le patrimoine de Monsieur Sarkozy, sur les 20 dernières années, ne relève de la moindre irrégularité ». C’est ce qui rend la peine qu’on m’inflige incompréhensible. Un ministre du Budget de gauche, convaincu il y a quelques années d’avoir eu un compte en banque à Singapour d’argent non déclaré, à ma connaissance n’a jamais été en prison.
Pourquoi, selon vous, faites-vous l’objet d’un « traitement spécial » ?
Je l’ignore. Certains me renvoient à l’image, probablement maladroite, que j’avais utilisé de magistrats se ressemblant « comme des petits pois », pour dire qu’il fallait une plus grande diversité dans les recrutements au sein de la magistrature. Cela n’avait rien d’insultant. D’autres prétendent que je souhaitais supprimer le juge d’instruction. C’est faux. J’ai voulu que la France se conforme au droit européen qui prévoit un juge « de l’instruction » et non un juge « d’instruction ». La Cour européenne des droits de l’homme, considérant que c’est un manquement à l’État de droit que celui qui instruit soit également celui qui décide.
La présidente du tribunal avait, par le passé, appelé à manifester contre vous. Est-ce, à vos yeux, l’explication de sa partialité ?
Est-ce qu’on aurait dû désigner un autre juge ? Au regard de l’État de droit, cela aurait été préférable sans doute. Mais c’est une habitude. Dans l’affaire dites des écoutes déjà, la présidente de chambre de la cour d’appel avait fait des déclarations politiques contre moi. Mais si j’avais contesté ces désignations par respect du principe d’impartialité, j’aurais alors pris le risque de donner le sentiment que je ne voulais pas assumer mes responsabilités, ce qui n’est ni de mon caractère ni dans mes habitudes. Mais le simple fait que vous me posiez la question montre qu’il y a bien un problème.
« Je suis allé en Libye en tant que ministre de l’Intérieur pour traiter de sujets de sécurité et d’immigration puisque 80 % des flux migratoires d’Afrique Subsaharienne vers l’Europe passent par ce pays »
Vos avocats envisagent-ils de porter plainte contre Mediapart ?
Vous comprendrez que pour moi, l’objectif n’est pas Mediapart. Le militantisme de ce média est bien connu et il n’y a pas besoin de moi pour le démontrer. Il voulait mettre un terme à ma carrière politique. De ce point de vue, ils ont réussi. Mais mon combat n’est pas un combat contre Mediapart, dont je me moque. Mon combat je le mène pour l’État de droit.
Mediapart fait-il partie de la menace qui pèse sur l’État de droit ?
Ce qui est un danger pour l’État de droit, c’est le mensonge utilisé à des fins partisanes. Qui pourrait contester qu’il s’agît de leurs pratiques régulières ?
Existe-t-il une collusion entre certains juges et Mediapart ?
Je l’ignore. Ce que je sais, c’est que l’officier de police judiciaire en charge de l’enquête sous le contrôle du PNF « likait » les publications de Mediapart sur les réseaux sociaux. J’observe que chacune de mes convocations judiciaires était annoncée par Mediapart avant même que je sois dans le bureau des enquêteurs ou des magistrats. Dans beaucoup de pays, on se choquerait pour moins que cela. On est bien loin de l’impartialité de la fonction publique.
Pour clarifier les choses, pouvez-vous expliquer pourquoi vous aviez choisi, en 2005, de vous rapprocher de la Libye ?
Le tribunal a balayé cette hypothèse absurde des juges d’instruction selon laquelle je serai à l’origine du rapprochement avec la Libye. Les sanctions internationales contre la Libye ont été levées en 2003 et 2004 après la renonciation de Kadhafi au terrorisme et la signature d’accords d’indemnisation avec les familles de victime. Tous les dirigeants occidentaux se sont rendus à Tripoli avant moi : José María Aznar, Tony Blair, Silvio Berlusconi, Gerhard Schröder ou encore Jacques Chirac qui s’y est rendu un an avant mon déplacement d’octobre 2005. Pour ma part, je suis allé en Libye en tant que ministre de l’Intérieur pour traiter de sujets de sécurité et d’immigration puisque 80 % des flux migratoires d’Afrique Subsaharienne vers l’Europe passent par ce pays et qu’il était indispensable de mettre en place une coopération pour contrôler ces flux. Le tribunal a également confirmé ce point. Je n’ai plus rien eu à faire avec la Libye jusqu’à mon élection en 2007.
Et en 2007, n’avez-vous pas, vous-même, initié un rapprochement avec Mouammar Kadhafi ?
Encore une fois, le tribunal a constaté que l’action diplomatique de la France envers la Libye sous ma présidence s’était inscrite dans le strict prolongement de celle de Jacques Chirac. Le seul événement marquant en 2007 est lié à la libération des infirmières bulgares et du médecin palestinien. Je vais partir de l’actualité pour que tout le monde en mesure bien les enjeux. Pourquoi les otages israéliens retenus à Gaza n’ont pas été libérés ? Parce que personne n’a voulu prendre le risque de parler aux geôliers de ces malheureux. À l’inverse, j’ai accepté de discuter avec les bourreaux libyens des infirmières bulgares qui étaient détenues depuis huit ans, avaient été violées et torturées et étaient condamnées à mort. J’ai fait passer des messages au Hamas pour faire libérer le soldat Gilad Shalit, détenu pendant cinq années dans une salle sans fenêtre à Gaza. Il a été finalement libéré. J’ai parlé aux FARC colombiens pour obtenir la libération d’Ingrid Betancourt. Je n’ai jamais abandonné Florence Cassez à son sort injuste au Mexique. Et je pourrais continuer la liste.
La libération des otages a toujours été, pour moi, une cause et une mission essentielle. Encore aujourd’hui, je m’implique dans de nombreux dossiers. Je ne regrette pas d’avoir pris des risques pour parvenir à la libération des infirmières bulgares et du médecin palestinien, qui étaient à la porte de l’échafaud pour des crimes qu’ils n’avaient pas commis. Je n’ai accepté la visite de Mouammar Kadhafi à Paris en décembre 2007 que parce qu’il avait libéré les infirmières bulgares et le médecin palestinien au mois de juillet. Et le tribunal a reconnu que cette visite s’inscrivait dans le cadre d’une tournée européenne et que l’accueil qui lui avait été réservé par nos voisins avait été identique au nôtre.
Toujours pour clarifier les choses : pourquoi avoir décidé, en 2011, de bombarder la Libye aux côtés des Britanniques ?
À l’époque c’est tout une partie de l’Afrique du Nord et du Proche-Orient qui est touché par des révolutions populaires. Ce qu’on a appelé les « printemps arabes ». Je n’ai pas vu arriver le mouvement en Tunisie. Peut-être parce que j’avais une certaine sympathie pour le président Ben Ali : 25 % du budget du pays à l’époque était consacré à l’éducation, la moitié du gouvernement était constituée de femmes. La révolution égyptienne a suivi. Je ne l’ai pas davantage anticipée. Sans doute parce que j’avais de l’amitié pour Moubarak. C’était un homme de paix, en paix avec Israël et avec lequel nous avions beaucoup œuvré pour essayer de régler les conflits dans la région, à commencer par le conflit israélo-palestinien. Certes Ben Ali comme Moubarak n’étaient pas des démocrates, mais aucun pays de la région n’était alors un régime démocratique. Quand le peuple se soulève en Libye, j’estime que la France ne peut pas rester en retrait, d’autant plus que Kadhafi – ce que ni Ben Ali, ni Moubarak n’ont fait —, décide d’envoyer l’armée, l’aviation, pour massacrer sa population, à Benghazi. J’ai pensé que, pour la première fois depuis Lawrence d’Arabie, des Européens pouvaient venir au secours de la rue arabe qui se soulevait pour sa liberté et pour sa dignité. Lorsque je me suis rendu sur place avec le Premier ministre anglais David Cameron, la foule était immense. C’était pour moi un symbole magnifique : un leader européen applaudi par la rue arabe.
« Nous avons reçu des milliers de messages, de témoignages de Français manifestant leur soutien et leur affection »
Certains vous accusent d’avoir contribué à la destruction des archives de Kadhafi, qui auraient pu contenir des éléments compromettants…
C’est ridicule. Entre le moment où nous sommes entrés en guerre et le moment où Kadhafi est mort, il s’est passé sept mois. Kadhafi et ses sbires avaient tout loisir, alors qu’ils étaient au pouvoir, de rendre publics tous les documents qu’ils voulaient. Il y a dans le dossier le témoignage du représentant d’une ONG qui est entré dans les locaux des services de renseignement libyens au moment de la chute de Tripoli fin août 2011 et qui a indiqué que les archives étaient intactes. S’ils n’ont rien publié, c’est parce qu’ils n’avaient rien. Le fils Kadhafi — Seïf Al-Islam avait d’ailleurs prétendu qu’il avait tous les documents contre moi : les lieux, les banques, les montants, les numéros de compte, les virements. Douze ans après, rien. Parce qu’il n’y a rien.
Puis la Libye a sombré dans le chaos, mais c’est d’abord parce que les Occidentaux l’ont abandonnée. Barack Obama a d’ailleurs dit dans l’une de ses dernières interviews de président que sa plus grande erreur de politique étrangère avait été d’abandonner la Libye. Les premières élections organisées après la chute de Kadhafi étaient pourtant prometteuses : 60 % de participation et la victoire des partis modérés. C’était en juillet 2012, je n’étais plus président depuis 2 mois. Mais on les a laissés tomber.
Quoi qu’il puisse m’en coûter aujourd’hui, je ne regrette pas d’avoir sauvé la vie des otages. Il y a sept femmes et un médecin palestinien qui sont en vie aujourd’hui parce que j’ai voulu qu’ils vivent. Je ne regrette pas davantage d’avoir sauvé des centaines, des milliers de vies en empêchant Kadhafi de massacrer son peuple. Mettez cela en balance avec ma condamnation à cinq ans de prison. Cela pèse peu du strict point de vue de la morale et de mes convictions humaines et religieuses.
Vous évoquiez tout à l’heure les témoignages de Français croisés dans la rue. Ces dernières heures, certains vous ont-ils particulièrement touché ?
Nous avons reçu des milliers de messages, de témoignages de Français manifestant leur soutien et leur affection. Je ne ferai jamais assez pour les remercier et pour leur dire combien cela me bouleverse, m’aide et me donne de la force. Nombre de ceux parmi mes compagnons de route se sont manifestés. Le Premier ministre s’est montré présent. J’ai échangé avec le président de la République dont tout le monde sait que nous avons pourtant des désaccords. Le ministre de l’Intérieur m’a témoigné son soutien. Beaucoup de responsables politiques m’ont fait part d’un état de profonde sidération et d’indignation. Exprimant qu’au-delà du choc, de mon sort personnel, ce qui est en cause, c’est l’État de droit. Si certains juges – et je veux croire qu’ils ne sont pas la majorité car je n’ai jamais fait le moindre amalgame entre des comportements militants et l’ensemble de l’institution judiciaire que j’ai toujours respecté – me traitent ainsi, qu’est-ce qu’ils se permettront avec tout simple citoyen ?
Espérez-vous une grâce du président Macron ?
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